mercredi 30 septembre 2015

:: 26 septembre 1939 : le PCF est dissous

Le 26 septembre 1939, le président du Conseil, le radical Daladier (on dirait aujourd'hui le Premier ministre), signait un décret-loi prononçant la dissolution du Parti Communiste. Depuis le 25 août, la presse de celui-ci était empêchée de paraître ; ses journaux l'Humanité et Ce Soir avaient été saisis, puis suspendus, et les militants qui collaient des affiches ou distribuaient des tracts étaient systématiquement pourchassés ou arrêtés.

Alors qu'il avait été en 1935 l'inventeur de la formule du « Front populaire » qui avait sauvé la mise d'un Parti Radical en plein recul électoral à la veille des élections de 1936, le Parti Communiste se retrouvait trois ans après isolé, attaqué par tous les partis - et ses anciens alliés socialistes n'étaient pas les derniers à s'en démarquer. La bourgeoisie, à qui le secrétaire général du Parti Communiste, Thorez, avait rendu de signalés services pendant la vague de grèves de 1936, en proclamant « il faut savoir terminer une grève », ne se montrait pas plus reconnaissante.

DU PACTE LAVAL-STALINE...

Après la prise du pouvoir par Hitler en 1933, Staline, conscient du danger que représentait pour l'URSS le choix que venait de faire la bourgeoisie allemande, avait cherché des soutiens auprès des « démocraties » occidentales. Cela aboutit au pacte franco soviétique Laval-Staline, avec pour conséquences le renoncement du PCF à toute agitation antimilitariste et le ralliement à la défense nationale. Jusqu'en 1938, le PC défendit une politique visant à intégrer l'URSS dans un « front international contre Hitler » et proclamait : « Il faut une collaboration honnête, loyale, loyale avec l'URSS, si l'on veut défendre la France. » Cela conduisit le PC à approuver les budgets militaires.

Avec la montée ouvrière qui avait suivi février 1934, le PC avait vu ses effectifs se gonfler. Il revendiquait 300 000 membres. Il avait, en 1938, 72 députés et deux sénateurs, était à la tête de plus de 3 000 municipalités ainsi que de nombreux syndicats et fédérations, au sein de la CGT, même si la majorité y appartenait encore au Parti Socialiste.

Mais les accords de Munich, en septembre 1938, montrèrent que la bourgeoisie française, malgré son alliance formelle avec l'URSS, entendait tout faire pour laisser les mains libres à l'est à l'Allemagne hitlérienne. Dès lors, le PCF, lié à l'URSS, lié aussi à la fraction la plus combative de la classe ouvrière, devenait un ennemi à éliminer.

Le 13 novembre 1938, une série de décrets détruisit ce qui restait des acquis des grèves de 1936. Au nom de la « défense nationale », la semaine de 40 heures était annulée par le rétablissement de la semaine de six jours et l'obligation d'effectuer des heures supplémentaires non majorées. La grève du 30 novembre, baroud d'honneur organisé par la CGT, se solda par une catastrophe pour la classe ouvrière : 800 000 travailleurs furent mis à pied, 10 000 licenciés et inscrits sur une « liste rouge » qui leur interdisait de retrouver un emploi. Bien évidemment, beaucoup de militants ouvriers du PC figuraient dans le lot, et la presse lança dès décembre une campagne pour demander l'interdiction du PC.

Devant le renforcement du danger de guerre, la bourgeoisie voulait mettre au pas la classe ouvrière, rendre toute résistance de celle-ci impossible.

Même si elle fut décrétée à la suite de la mise en oeuvre du pacte germano-soviétique, l'interdiction du Parti Communiste fut aussi le dernier acte de la contre-offensive que la bourgeoisie avait menée contre la classe ouvrière pour reprendre tout ce qu'elle avait dû céder sous la frayeur en Juin 36.

... AU PACTE GERMANO-SOVIETIQUE

C'est cependant la politique internationale défendue par le Parti Communiste, qui servit de prétexte à la bourgeoisie française pour l'interdire.

Après la signature, le 23 août 1939, du pacte de non-agression entre l'Allemagne et l'URSS, les dirigeants du PC continuèrent un certain temps à clamer leur adhésion à la « défense de la patrie ». Le jour même où l'Humanité cessait de paraître, Thorez envoyait un communiqué dans lequel il déclarait que, « si Hitler, malgré tout, déclenche la guerre, qu'il sache bien qu'il trouvera devant lui le peuple de France uni, les communistes au premier rang, pour défendre la sécurité du pays, la liberté et l'indépendance des peuples ».

Il fallut en effet du temps aux dirigeants français pour prendre le virage, eux qui, depuis des années, avait substitué « l'antifascisme » à la lutte pour la révolution sociale. Le PC connut même nombre de désertions dans ses rangs, y compris parmi ses dirigeants, il vit s'éloigner nombre d'intellectuels, « amis de l'URSS », qui jusque-là n'avaient jamais critiqué la politique menée par Staline. Tous les partis le rejetèrent pour se rallier à l'Union sacrée avec la droite, à commencer par ses anciens alliés de la SFIO, qui ne furent pas les derniers à demander sa dissolution. Il en alla de même avec les dirigeants socialistes de la CGT qui déclaraient qu'« il n'est plus possible de collaborer avec ceux qui n'ont pas voulu condamner le pacte germano-soviétique ».

Entre-temps, l'impérialisme français était entré en guerre, le 1er septembre. Mais malgré le déchaînement de tous les autres partis contre le Parti Communiste, ses députés applaudirent le lendemain le discours de Daladier et votèrent l'augmentation des crédits militaires qu'il demandait. Le 19 septembre, lorsqu'on sut que les troupes de l'URSS avaient envahi l'est de la Pologne, le PC se retrouva complètement isolé. Il fut interdit le 26 septembre par un décret du gouvernement Daladier, et ses militants obligés de passer dans la clandestinité pour continuer à survivre politiquement.

En janvier 1940, les députés communistes qui étaient restés fidèles à leur parti furent déchus de leur mandat. En mars, le gouvernement présentait son bilan : en six mois, « 3 400 militants furent arrêtés, 500 fonctionnaires municipaux révoqués, 3 500 affectés spéciaux renvoyés au front, 1 500 condamnations prononcées ». Plus de 300 municipalités contrôlées par le PC furent dissoutes, 2 500 conseillers municipaux et 87 conseillers généraux démis de leurs fonctions, des centaines de fonctionnaires révoqués, des députés arrêtés à leur domicile ou assignés à résidence en vertu d'un décret du18 novembre, dit « loi des suspects », dirigé contre « les individus dangereux pour la défense nationale », c'est-à-dire les communistes. Parmi les militants communistes arrêtés, certains ne quittèrent les prisons françaises que pour être enfermés dans les prisons ou les camps nazis.

Enfin, le 8 avril 1940, le « décret Sérol » du nom du ministre de la Justice socialiste du gouvernement Reynaud, prévoyait la peine de mort pour « tout Français qui aura participé sciemment à une entreprise de démoralisation de l'armée ou de la nation ayant pour objet de nuire à la défense nationale ». Il visait là aussi le Parti Communiste qui, ayant fini de s'aligner sur la politique extérieure de Moscou, se faisait alors le défenseur d'une caricature du défaitisme révolutionnaire.

La « croisade des démocraties » avait commencé par la mise en place d'un régime qui après avoir piétiné toutes les libertés démocratiques finirait par remettre le pouvoir à Pétain. Elle s'achèverait, quelques années plus tard, avec l'entrée au gouvernement d'un Parti Communiste redevenu aux yeux de la bourgeoisie et de son personnel politique un allié indispensable pour remettre en selle l'appareil d'État bourgeois, pour imposer à la classe ouvrière de renoncer à toute revendication et de remettre en route au profit du patronat la machine économique.

Marianne LAMIRAL (LO n°2147)

:: Septembre 1958 : assassinat du dirigeant nationaliste Ruben Um Nyobé et guerre coloniale au Cameroun

Le 13 septembre 1958, l'armée française assassinait Ruben Um Nyobé, principal dirigeant de l'UPC (Union des Populations Camerounaises), un parti qui exigeait " l'indépendance immédiate " du Cameroun. Cette revendication était alors soutenue par une large fraction de la population, à qui l'impérialisme français fit la guerre comme en Indochine et en Algérie. Avec une différence : cette guerre fut menée sans qu'on en sache grand-chose en métropole.

Pendant la Première Guerre mondiale, les troupes françaises et britanniques s'emparèrent du Cameroun, une colonie allemande. En 1919, le pays fut placé sous tutelle par la Société des Nations, ancêtre de l'ONU. Quatre cinquièmes du pays furent confiés à la France ; le reste aux Britanniques.
En 1944, un syndicaliste français, Donnat, créait l'Union des syndicats confédérés du Cameroun (USCC), une centrale syndicale liée à la CGT française et qui, dès sa naissance, fut l'objet d'une campagne hostile des milieux colonialistes, Église catholique en tête. Les 24 et 25 septembre 1945, l'USCC lançait sa première grève générale.

Chasse coloniale aux indépendantistes

En réaction, les colons et le patronat blanc lancèrent une chasse à l'homme contre les syndicalistes. Les colons furent cependant reçus à coup de fusil par un militant syndical blanc, Lalaurie, qu'ils avaient espéré pouvoir arrêter à son domicile. Celui-ci tua un des dirigeants de la Chambre de commerce. Lui et trois autres syndicalistes échappèrent de peu au lynchage, mais leur procès fut conclu par un non-lieu.
En revanche, on ne sut jamais le nombre d'Africains victimes de ces deux journées de furie colonialiste. Il y eut en tout cas au moins quatre-vingts morts. Les militants syndicaux blancs ayant été rapatriés vers la métropole, la direction de la centrale fut alors assurée par les militants noirs. Ruben Um Nyobé en devenait le secrétaire général adjoint en octobre 1945 et le secrétaire général en 1947. Le 10 avril 1948, il créa un parti indépendantiste, l'Union des Populations du Cameroun (UPC), qui adressa à l'ONU des pétitions réclamant l'indépendance. En 1951, l'UPC rompit avec le RDA (Rassemblement Démocratique Africain), dont elle était une des sections, lorsque ce mouvement, dirigé par l'Ivoirien Houphouët-Boigny, cédait aux instances du ministre de la France d'outre-mer d'alors, François Mitterrand, et s'engagea dans la collaboration ouverte avec l'administration coloniale.

En 1952, l'ONU invita Um Nyobé, qui revendiqua du haut de sa tribune l'indépendance du Cameroun. Il profitait ainsi du fait que les États-Unis plaidaient pour la fin des empires coloniaux dont ils attendaient qu'elle leur ouvre de nouveaux marchés dans le monde. Le dirigeant nationaliste demanda que l'ONU fixe un délai pour que le Cameroun devienne maître de son destin.

Une guerre coloniale de quinze années

En 1955. Le haut-commissaire français au Cameroun se livra à une série de provocations qui finirent par déclencher des émeutes à Douala, à Yaoundé et dans d'autres villes plus petites. " On vit la troupe massacrer les Africains avec une sorte d'enthousiasme sadique ", écrivait Mongo Beti dans son livre Main basse sur le Cameroun. Et, une fois de plus, le nombre des morts resta inconnu.

En juillet 1955, l'UPC fut interdite. Ses dirigeants s'exilèrent ou entrèrent dans la clandestinité. En juin 1956, Gaston Defferre, ministre de la France d'outre-mer dans le gouvernement de Front républicain du socialiste Guy Mollet, faisait voter par le Parlement français une loi-cadre instituant un " exécutif indigène ", présidé par le gouverneur français mais flanqué d'un vice-président africain. Cette équipe devait rendre des comptes à une assemblée locale, où les colons restaient surreprésentés. Censé apaiser la situation, ce dispositif exacerba le sentiment national des Camerounais.

En juillet 1956, Pierre Messmer, gaulliste et ancien légionnaire, devint à son tour haut-commissaire du Cameroun. Il était chargé de mettre en oeuvre cette loi dite d'autonomie que l'UPC dénonçait comme un " semblant d'émancipation ". L'État français empêcha la participation de celle-ci aux élections locales de décembre 1956 en faisant traîner le processus qui aurait dû la sortir de l'illégalité. Il ne resta plus à l'UPC qu'à appeler à l'abstention, ce qu'elle fit avec un certain succès.

L'assassinat de deux colons, attribué à tort ou à raison à des membres de l'UPC, servit alors de prétexte pour réprimer le parti indépendantiste. L'impérialisme français réagit au Cameroun comme il l'avait fait en Indochine et comme il continuait alors de le faire en Algérie.

Les villageois furent réunis dans des camps de regroupement, tandis que l'armée quadrillait le pays. Tout Africain découvert hors de ces camps était considéré comme un ennemi et risquait sa vie. Il y eut des massacres et des tueries notamment dans le sud du pays.

En réaction, on estime qu'un tiers de la population prit le chemin du maquis, notamment dans les zones forestières. Les indépendantistes s'armèrent comme ils pouvaient, de fusils de chasse, lances et arbalètes. Puisque le parti d'Um Nyobé préférait l'indépendance à la pseudo-autonomie imaginée par la puissance coloniale, il fut déclaré " hors-la-loi ". L'armée pénétra dans les forêts où était installée l'UPC. L'étau se resserra autour d'Um Nyobé, qui fut assassiné le 13 septembre 1958 d'une rafale de mitraillette. Sa dépouille fut exhibée dans son village pour montrer qu'il était bien mort, puis son cadavre fut escamoté dans un coulage de béton.

Un Cameroun toujours " dépendant "

Mais la mort du principal dirigeant de l'UPC n'arrêta pas la rébellion. L'ouest du pays s'embrasa, tandis que la France installait un dictateur à sa solde, Ahidjo. Le 1er janvier 1960, derrière le paravent des fêtes de la pseudo-indépendance offerte par de Gaulle, la répression se poursuivait contre les indépendantistes. Le Cameroun " indépendant " restait de fait dans le pré carré français. Par exemple, les matières premières du sous-sol étaient d'abord la propriété de la France. Les dirigeants camerounais ne pouvaient en disposer que si le gouvernement français n'était pas intéressé.

L'armée nationale du Cameroun déclaré " indépendant ", encadrée et mise sur pied par la France qui en avait formé les cadres et continuait de l'épauler, menait une guerre totale aux partisans de l'indépendance. Elle allait durer finalement quinze ans, de 1955 à 1970. D'autres dirigeants de l'UPC furent assassinés : Félix Moumié, empoisonné par un agent des services secrets français ; Osendé Afana mort au maquis en 1966 ; Ernest Ouandié, fusillé en 1970 après une parodie de procès.

Cette guerre coûta la vie à des dizaines de milliers de Camerounais, peut-être même des centaines de milliers. On utilisa les tanks, les bombardements aériens y compris au napalm pour reconquérir les zones où la population sympathisait avec l'UPC, et contre tous ceux qui aspiraient à une véritable indépendance, c'est-à-dire débarrassée de la tutelle coloniale ou néocoloniale afin que la population puisse enfin bénéficier des richesses du pays accaparées par les trusts français.


Jacques FONTENOY (LO n°2095)

:: "Mondialisation", "globalisation" de l’économie - des expressions qui déguisent, plus qu’elles n’éclairent, la réalité de l’impérialisme

Les mots « mondialisation » et « globalisation » sont sortis depuis quelques années des cénacles des économistes distingués et du domaine de leur jargon professionnel pour devenir à la mode dans les médias et dans le vocabulaire des hommes politiques.

L’avantage de ces mots est qu’en eux-mêmes ils ne signifient pas grand-chose et qu’en conséquence on peut leur faire dire n’importe quoi. Ils sont ainsi à même de compléter judicieusement les termes « monnaie unique », « critères de convergence » et, bien entendu, l’inévitable « Maastricht », pour évoquer, selon les uns, un avenir de progrès et de bonheur ou, selon les autres, une calamité.

Il y a trois ans, la presse et les commentateurs ont fait une large publicité à un rapport fait au nom du Sénat et signé par un sénateur nommé Arthuis le même qui est devenu ministre de l’Economie comme l’on sait, depuis. Ce rapport dépeignait en termes catastrophiques la mondialisation comme un mouvement irrésistible de délocalisation. Or, s’alarmait Arthuis, il y a un véritable échange inégal entre les pays « à bas salaires » et les pays qu’il appelle « à haute protection sociale », et cet échange inégal ne peut générer que destructions d’emplois, chômage et pauvreté dans les seconds.

Il y a quelques jours encore, c’est le président de l’Assemblée, Philippe Séguin, qui s’en est pris à la « mondialisation » et à la « déréglementation généralisée de la sphère financière », pour se poser en défenseur d’une « base livrée aux emplois précaires et dévalorisés ou au chômage ».

Arthuis comme Séguin est dans l’air du temps car rares sont les patrons ou plutôt leurs porte-parole, dans la presse ou ailleurs, qui n’ont pas complaisamment disserté sur ces pays, comme le Vietnam, la Chine et quelques autres, où les salaires représentent 1/30e de ceux qui sont payés ici. Dans les mêmes milieux, on se garde cependant de préciser que si les capitaux se délocalisent si tant est qu’ils se délocalisent dans les pays à très bas salaires ce n’est pas par une opération du saint esprit, mais parce que leurs possesseurs ont trouvé rentable d’investir là-bas. Mais de toute façon, ce genre de discours annonce rarement, de la part de ceux qui les tiennent, des investissements réels au Vietnam, à Madagascar ou à Haïti : évoquer les salaires lamentables de là-bas est surtout une façon de faire pression sur les salaires d’ici.

De façon plus générale, le battage sur le thème de la « mondialisation » a souvent pour raison d’être l’établissement de relations de cause à effet entre la croissance des échanges internationaux, les exportations de capitaux plus ou moins assimilées à des délocalisations, et le chômage. Oh, que le capitalisme serait joli, s’il restait national... Ce ne sont évidemment que des mots et, même quand ils sortaient de la bouche d’un alors encore futur ministre de l’Economie, ils n’empêchaient pas un seul capitaliste d’aller placer son argent ailleurs, s’il y trouvait intérêt. Mais cela véhicule des stupidités sur les causes du chômage.

Le Parti communiste n’est cependant pas loin de voir les choses de la même façon. Dans un article récent de L’Humanité, Wurtz dit avec solennité « non à une mondialisation capitaliste ». Et de suggérer qu’il y a des moyens de limiter la capacité de nuisance des « groupes mondialisés » et pour « maîtriser le marché ». Pour conclure dans une envolée lyrique : « La France, et d’abord ses forces progressistes, ont donc un rôle à jouer pour contribuer à fédérer les résistances et à ouvrir des perspectives communes de changement. On n’imagine pas les attentes d’actes forts de notre pays ». Le rédacteur de l’article ne dit pas si « la France » qu’il évoque et qu’il prend soin de distinguer de « ses forces progressistes » comprend, aussi, les firmes multinationales françaises, car il y en a quelques-unes.

Comme pour Maastricht, le Parti communiste se retrouve sur le même terrain que le Front national. L’organisation lepéniste vient, en effet, de choisir la petite ville de Mamers, dans la Sarthe, où Moulinex prévoit de supprimer une usine, pour lancer « une campagne nationale contre la mondialisation » et la délocalisation. Bruno Mégret, présent lors du lancement de la campagne, y a brandi la menace d’une action de ses militants « chaque fois qu’une entreprise française sera menacée par la mondialisation ». Voilà donc un nouveau volet de la démagogie lepéniste pour compléter celui contre les travailleurs immigrés.

Les ancêtres politiques de Le Pen parlaient de « capital apatride » ou « cosmopolite ». « mondialisation » est plus dans l’air du temps. Et voilà le Front national qui fustige les syndicats pour être « complices du patronat et du gouvernement » car ils ne mènent pas, ou pas suffisamment, la lutte contre la mondialisation.

Rien que ce voisinage avec le Front national devrait inspirer aux militants du Parti communiste de salutaires réflexions sur la question. Mais il est vrai que la direction de leur parti leur a depuis longtemps fait canaliser leur indignation politique sur d’autres terrains que sur le terrain de classe, pour éviter de s’en prendre au capitalisme en s’en prenant à tel ou tel de ses aspects.

Derriere les mots, quelle réalité ?

Le terme mondialisation est censé recouvrir un ensemble d’évolutions économiques qui pourraient être résumées par les points suivants :

- L’intégration plus poussée dans le marché mondial de l’ensemble de la planète, du fait de la liquidation progressive des chasses gardées des puissances impérialistes de seconde zone (ex-colonies françaises, britanniques, etc.) et de la fin de l’isolement relatif des pays de l’ex-bloc soviétique.

- L’intensification du commerce international, favorisée par des accords commerciaux internationaux comme ceux qui ont abouti à la création de l’Organisation mondiale du commerce, qui s’essaye à diminuer les barrières, douanières ou autres, susceptibles de constituer un obstacle au commerce international.

- La circulation sans entrave des capitaux, avec pour conséquence un accroissement de ce que le jargon économiste désigne par le terme d’« investissements directs » en essayant de les distinguer sans y parvenir vraiment des déplacements purement spéculatifs de capitaux. Rappelons cependant que les capitalistes appellent « investissements » aussi bien le rachat total ou partiel d’entreprises déjà existantes que la création d’entreprises nouvelles. L’intensification incontestable des exportations de capitaux durant les quinze dernières années est due pour l’essentiel au rachat d’actions ou de titres de propriété d’entreprises existantes.

- La concentration accrue de capitaux suite aux fusions de groupes financiers et à leurs acquisitions et prises de contrôle d’entreprises à l’échelle internationale. Quelques groupes multinationaux gigantesques organisent l’activité économique de centaines de milliers, voire de millions d’hommes dans un grand nombre de pays de la planète. Ces trusts raisonnent à l’échelle du globe et déplacent leur activité, réelle ou comptable, dans les pays qui permettent de rendre maxima leurs profits nationaux.

- La prépondérance de la finance sur l’industrie et de la circulation financière sur la circulation des marchandises.

- L’abandon progressif par les États, dans les pays développés comme dans les pays pauvres, de la gestion directe de secteurs plus ou moins importants de l’économie, voire même des services publics.

La prédominance du capital financier sur le capital industriel, les exportations de capitaux, la constitution de grands groupes financiers importants dans un grand nombre de pays suite à une concentration croissante de capitaux, constituent en effet des faits majeurs, marquant toute l’économie et, au-delà, toute la vie sociale et politique. Mais cette évolution remonte déjà à près d’un siècle !

En 1916 déjà, Lénine avait pu constater que « le vingtième siècle marque un tournant où l’ancien capitalisme fait place au nouveau, où la domination du capital financier se substitue à la domination du capital en général ».

Comme tous les marxistes de l’époque même si tous n’en tiraient pas les mêmes conclusions Lénine appelait impérialisme cette nouvelle phase du capitalisme. Il ne combattait pas ce stade nouveau du capitalisme au nom de l’ancien. Il ne combattait pas l’émergence des grands groupes financiers au nom du retour au capitalisme familial et de libre concurrence. Il ne combattait pas la concurrence internationale exacerbée, les exportations de capitaux, « les délocalisations » le terme est nouveau, mais pas la chose au nom de l’utopie de la concurrence contenue à l’intérieur d’un seul pays. Il n’opposait pas au libre-échange à l’échelle internationale le protectionnisme national. Car il savait que ce sont là des attitudes différentes que le grand capital adopte, dans des proportions différentes, en fonction du rapport des forces et des nécessités du moment. Et il ne proposait surtout pas au prolétariat de faire sienne l’une ou l’autre de ces politiques de la bourgeoisie.

Il ne réclamait pas, non plus, un État national plus fort, pour pouvoir « résister aux marchés financiers ». Il savait que les États impérialistes ne sont pas « impuissants » face aux trusts, aux groupes financiers, mais qu’ils en sont les instruments.

Et s’il avait tiré une conclusion de tout cela, c’est que le capitalisme au stade impérialiste, source de pourriture pour la société, avait en même temps accumulé tous les matériaux nécessaires à sa destruction et à la réorganisation rationnelle de l’économie sous la direction du prolétariat. Et le passage suivant de L’impérialisme, stade suprême du capitalisme sonne plus moderne, et surtout plus juste, que toute la littérature consacrée aujourd’hui à la mondialisation ou à la globalisation :

« Quand une grosse entreprise devient gigantesque et organise méthodiquement, en tenant un compte exact des données multiples, la fourniture des deux tiers ou des trois quarts de toutes les matières premières nécessaires à des dizaines de millions d’hommes ; quand s’organise avec système le transport de ces matières premières aux lieux de production les mieux appropriés, et que séparent parfois des centaines et des centaines de verstes ; quand un centre unique a la haute main sur tous les stades successifs du traitement des matières premières, jusqu’à et y compris la fabrication de toute une série de variétés de produits finis ; quand la répartition de ces produits se fait d’après un plan unique parmi des dizaines et des centaines de millions de consommateurs (vente du pétrole, et en Amérique, et en Allemagne par le »trust du pétrole« américain). Il est évident que nous sommes en présence d’une socialisation de la production, et non point d’un simple entrelacement, que les rapports de l’économie privée et de la propriété privée constituent une enveloppe qui ne correspond plus à son contenu, qui nécessairement doit pourrir si l’on en diffère artificiellement l’élimination, qui peut rester en état de putréfaction assez longtemps (si, au pis aller, la guérison de l’abcès opportuniste traîne en longueur), mais qui, néanmoins, sera nécessairement éliminé ».

Une simple question de vocabulaire ?

Le fait de présenter la « mondialisation » comme un phénomène nouveau n’est pas un simple changement de vocabulaire. Encore que le vocabulaire lui- même est nécessairement orienté. Derrière l’apparente neutralité des termes « mondialisation » ou « globalisation », il y a une orientation politique, il y a la volonté d’occulter les relations de domination entre un petit nombre de pays impérialistes et le reste du monde.

Le terme « mondialisation » permet ainsi de suggérer qu’un grand nombre de pays se sont engagés sur la voie du développement capitaliste, au même titre que ceux qui les ont précédés. Beaucoup ne se contentent d’ailleurs pas de le suggérer, mais l’affirment. Et d’évoquer les fulgurants succès économiques de ceux qu’on appelle les « dragons de l’Asie » : Corée du sud, Taïwan, Hong-Kong, Singapour. Il est même à la mode de discuter de la date à laquelle la Chine remplacera les États-Unis comme première puissance économique du globe.

Même chose pour le commerce international, pour lequel la mondialisation est présentée comme l’accession d’un nombre croissant de pays au rang de concurrents à part entière, susceptibles de tailler des croupières sinon globalement aux pays impérialistes et encore ! du moins à un grand nombre de leurs industries. Il en découle tout naturellement l’argument que le chômage vient de la concurrence des pays à bas salaires et qu’en conséquence, les travailleurs des pays impérialistes doivent se sentir en compétition avec ceux des pays pauvres. Le fait de poser les problèmes en termes de « pays » Corée du Sud, Indonésie, Malaisie permet par la même occasion d’occulter le fait que les entreprises industrielles de ces pays sont souvent contrôlées par des groupes financiers des vieilles puissances impérialistes.

Portée et limites du développement du commerce international

L’économie est internationale et étouffe depuis bien longtemps dans les cadres nationaux. Mais ces cadres nationaux persistent, et l’internationalisation de l’économie est la résultante d’un combat permanent où chaque capitaliste, chaque groupe capitaliste et leurs États cherchent à se protéger sur leur marché national tout en essayant, au moyen du marché international « libéré » des entraves, d’élargir leur accès.

Malgré la multiplication des négociations commerciales, bipartites, régionales ou internationales, malgré l’Organisation mondiale du commerce, en fonction depuis le 1er janvier 1995 avec comme ambition affichée de faciliter le libre-échange à l’échelle internationale, le marché international n’est nullement « libre », au sens d’un accès égal pour tous. Il est un lieu de confrontation des rapports de forces. Les dirigeants de la plus puissante des nations impérialistes, les États-Unis, promoteurs principaux par ailleurs de l’Organisation mondiale du commerce, ne se gênent nullement pour déclarer qu’ils n’acceptent les règles de cette dernière que pour autant qu’elles ne soient pas préjudiciables à leurs intérêts économiques. Plus encore qu’au temps où l’existence du bloc soviétique imposait à la politique extérieure des États-Unis des préoccupations d’ordre militaro-politique, la diplomatie américaine est une auxiliaire des stratégies économiques des trusts. Parler de libre- échange dans la guerre économique que se mènent, par exemple, l’impérialisme américain et l’impérialisme japonais, c’est une plaisanterie.

Autant dire que seuls les plus forts accèdent véritablement au marché mondial. Quand cela arrive à un pays pauvre, c’est très souvent parce qu’un groupe industriel d’une puissance impérialiste juge plus facile de se dissimuler derrière un petit pays. Il est par exemple de notoriété publique que, devant les barrières mises à certaines époques devant leur commerce international par les États-Unis ou par les principaux pays européens taxes élevées et surtout quotas , les trusts japonais ont préféré contourner les obstacles en remplaçant les « made in Japan » par « made in Indonesia » ou « made in Malaysia ».

Le commerce international se développe depuis la guerre plus rapidement que la production. Il a joué un rôle certain dans le fait que la stagnation économique depuis vingt ans ne s’est pas transformée en un effondrement économique catastrophique. Néanmoins, il n’y a pas eu une accélération significative dans la croissance des échanges internationaux au cours des dix ou quinze dernières années. Ce serait même plutôt le contraire. D’après ce qu’en dit Elie Cohen, économiste au CNRS, dans un livre récent, « Le commerce international a crû de 6,6 % en moyenne annuelle de 1950 à 1980, soit 2,3 points de PIB de plus que la progression de la production. Dans les années 1980, l’écart n’a plus été que de 0,9 points PIB. La période 1991 -1993 qui se caractérise dans les pays européens par un ralentissement de la croissance du PIB, voit aussi le commerce extérieur se ralentir ». Et le même économiste affirme que sur le long terme, depuis le début du siècle, si « le monde a connu des périodes d’ouverture et de fermeture, il n’est au total pas plus ouvert qu’il ne l’a été à la veille de la Première Guerre mondiale ».

Après une longue période de recul du commerce mondial dans la période d’entre les deux guerres, conséquence de la chute de la production de la grande crise mais aussi des politiques protectionnistes des États, le commerce international s’est certes accru depuis la fin de la guerre en volume et en valeur, mais la part de la production des grandes puissances impérialistes qui va sur les marchés extérieurs, est globalement du même ordre qu’en 1913.

Les changements de frontières le cas échéant, les changements dans la nature des produits, rendent les comparaisons très approximatives. Néanmoins, pour les États-Unis, les exportations ne représentent toujours que 7,1 % de leur production, alors qu’elles étaient déjà à 6,1 % en 1913. La part des exportations s’est certes accrue de façon significative pour ces deux pays complémentaires que sont la France et l’Allemagne, en passant entre 1913 et 1992 respectivement de 13,9 à 17,5 % et de 17,5 à 24 % de la production nationale. Mais, en revanche, et contrairement à bien des idées reçues, la part de l’exportation par rapport à la production a reculé pour le Japon et pour le Royaume-Uni, tombant entre 1913 et 1992, respectivement de 12,3 à 9,2 % et de 20,9 à 18,2 %.

Il faut ajouter, en revanche, qu’une partie importante du commerce international d’aujourd’hui est constituée tout simplement d’échanges entre entreprises d’un même trust, voire entre départements ou ateliers d’une même entreprise. Les exportations internes à un même trust représentent par exemple aujourd’hui 33,5 % des exportations des États-Unis ! L’interpénétration accrue des économies se réalise essentiellement à l’intérieur des grands trusts multinationaux.

L’Europe dans la concurrence internationale

Le commerce international a une importance primordiale pour les puissances impérialistes d’Europe, littéralement étouffées dans leurs territoires exigus. Le commerce intra-européen est vital pour toutes.
Voilà pourquoi les pays les plus développés d’Europe sont engagés depuis plus de quarante ans dans ce qu’ils appellent la « construction européenne ». Il a fallu aux bourgeoisies allemande, française, britannique, italienne et avec un poids moindre, hollandaise et belge, aux intérêts concurrents en même temps que complémentaires, plus de quarante ans de marchandages, de petits progrès et de retours en arrière pour liquider plus ou moins complètement les barrières douanières, les obstacles tarifaires et pour essayer de mettre un peu d’ordre dans la jungle des initiatives que chaque État national peut prendre pour rendre plus difficile la pénétration des capitaux du concurrent chez lui et favoriser la pénétration des siens chez les autres. Et une fois que les principales puissances économiques du continent principalement l’Allemagne, la France et l’Angleterre et dans une certaine mesure l’Italie eurent réussi à créer un marché commun, sinon unique, les autres pays industriels du continent n’ont plus eu d’autre choix que de s’aligner. Ce qu’ils ont fait et continuent à faire, les uns après les autres.

La récente crise dite de la vache folle a, d’ailleurs, rappelé avec quelle rapidité les barrières peuvent se remettre en place. Leur « construction européenne » n’a nullement supprimé les États nationaux elle n’en a toujours pas l’ambition et chaque État peut en principe défaire ce qui s’est fait avec son accord.

Les débats sur « supranationalité » contre « souveraineté nationale » dans lesquels s’est engouffré le PC derrière une partie de la droite et le Front national sont au mieux oiseux, mais en réalité mensongers. Les discours sur les « autorités de Bruxelles qui imposent leurs directives aux États » sont mensongers. L’autorité de Bruxelles n’a pas remplacé l’autorité des États, qui continuent à représenter les intérêts de leurs bourgeoisies respectives. Elle n’en est que l’émanation. Bruxelles ne fait rien qui ne résulte des décisions des États, ou en tous cas, des compromis acceptés par eux, sur la base des rapports de forces entre les bourgeoisies concernées. Et les États les plus puissants de l’Union européenne, dont la France, ont tous les moyens de refuser les directives qu’ils ne veulent pas appliquer et ne se gênent pas pour le faire, comme vient de le monter Juppé tout récemment, en refusant d’appliquer une directive écologiste de Bruxelles (pourtant votée par le délégué français) car elle était préjudiciable à la majorité sur le plan électoral. Cela n’empêche pas les dirigeants politiques de se réfugier derrière les « décisions de Bruxelles » ou « les directives de la Commission européenne » lorsque cela les arrange, pour ne pas imposer des décisions impopulaires. Mais désigner Bruxelles comme responsable de la politique de sa propre bourgeoisie est encore une façon de tromper les travailleurs.

Un des principaux moyens de favoriser leur propre bourgeoisie qu’ont conservés les États nationaux jusqu’à nos jours réside dans l’utilisation de leur monnaie nationale comme arme de guerre contre les autres. Les fameuses « dévaluations compétitives », exécutées dans la période récente par l’Espagne, le Portugal ou l’Italie et la Grande- Bretagne, fournissent une illustration de l’utilisation de ce moyen.

Voilà pourquoi l’Allemagne et la France, les deux piliers de la construction européenne car ce sont elles qui y ont finalement le plus intérêt tiennent depuis plusieurs années à faire déposer par tous cette arme-là en créant une monnaie européenne unique. Cela demande une certaine homogénéisation des politiques budgétaires, un certain nivellement des taux d’intérêt et une inflation à peu près similaire. Voilà le fondement de ces « critères de convergence » établis à Maastricht qui ne sont que l’expression de l’accord entre bourgeoisies européennes pour imposer quelques règles et pour s’interdire quelques coups bas.

La monnaie européenne n’est pas encore faite et certaines des puissances majeures du continent, la Grande-Bretagne en particulier, n’ont pour le moment pas l’intention de s’y associer. Il est cependant vraisemblable aujourd’hui qu’elle se fasse au moins entre l’Allemagne et la France et dans les pays de leurs sphères d’influence, car elle correspond aux intérêts de la grande bourgeoisie. Ce sera un facteur d’unification purement consensuel et peut-être temporaire, mais facteur d’unification quand même entre pays d’Europe. Ce sera en même temps un instrument de guerre économique contre l’extérieur. La monnaie européenne n’existe même pas encore que déjà quatre grands patrons, deux français et deux allemands, exigent dans une tribune libre récemment parue dans Le Monde, que sa parité soit telle par rapport au dollar et au yen qu’elle avantage les exportations. Les entreprises allemandes et les entreprises françaises ne pourront faire la course en tête avec un tel boulet au pied, insistent-ils, le boulet étant un « euro » trop fort par rapport aux devises américaine et japonaise.

« L’Europe unie » n’est que l’organisation conflictuelle de la sphère d’influence des principales puissances européennes, tout à la fois rivales entre elles et obligées de s’entendre face à plus puissantes qu’elles (les États-Unis et le Japon). L’exigence d’une monnaie unique elle-même ne fait que refléter une situation où même la plus puissante des économies, celle de l’Allemagne, n’est pas en position d’imposer sa monnaie, le deutschemark, comme monnaie acceptée par tous. Les États-Unis n’ont pas ce type de problème à l’intérieur de leur propre sphère d’influence régionale organisée, l’ALENA, dont font partie également le Canada et le Mexique, tant le dollar fait office de monnaie commune indiscutée.

Délocalisations et concurrence asiatique

Quand Arthuis et bien d’autres évoquent le danger représenté par les pays à bas salaires pour l’industrie et partant, pour l’emploi en France, ils entendent parler d’un certain nombre de pays d’Asie. Ils seraient plus difficilement crédibles en brandissant la menace du Mali, du Sénégal, et plus généralement, de cette Afrique qui, loin de s’industrialiser, a plutôt tendance à se désindustrialiser.
Il y a de toute façon une mauvaise foi certaine à évoquer la pénétration des voitures ou des ordinateurs sud-coréens sur le marché français sans ajouter que si la bourgeoisie française accepte d’entrouvrir ses frontières devant des importations de ce type, c’est parce qu’elle espère en contrepartie revendre à la Corée des TGV ou des avions. Là encore, dans la concurrence, ce ne sont nullement des forces économiques immatérielles qui agissent, mais des intérêts. Et l’État ne subit pas des forces contre lesquelles il serait impuissant : il marchande pour le compte de ses capitalistes.

Qu’en est-il de ces fameuses « délocalisations » vers les pays à bas salaires ?

A quelques rares secteurs près, elles sont négligeables. Laisser entendre que l’ouverture des frontières à la concurrence asiatique serait responsable, au moins partiellement, des cinq millions de chômeurs ou semi-chômeurs de ce pays, c’est un mensonge éhonté.

Les investissements de capitaux français à l’extérieur rachats d’entreprises principalement se sont certes considérablement accrus (ils ont été multipliés par 4 entre 1986 et 1992). Mais dans leur quasi totalité, ils ont pour but d’accéder à de grands marchés et sont allés vers des pays déjà industrialisés. Seuls 6 % de ces investissements sont allés vers des pays sous-développés, et 2 % seulement vers l’Asie orientale. Et encore, près de la moitié des investissements des pays impérialistes dans les pays sous-développés concerne le secteur minier, ou encore le tourisme, c’est-à-dire des secteurs où il ne s’agit pas de déménager une entreprise de France vers un pays à bas salaires.

Pour bas que soient les salaires dans les pays d’Afrique ou d’Asie de l’Est, ils sont loin d’exercer cette attraction fatale sur le grand capital français dans laquelle Arthuis voit la principale menace pour l’industrie de France. Car les bas salaires ne compensent pas facilement l’insuffisance ou la mauvaise qualité des infrastructures, la productivité plus basse du travail, l’insécurité et l’éventuelle instabilité politique, sans parler du coût du transport. Dans les quelques pays semi-développés qui ne posent pas, ou plus, ces problèmes, la Corée du Sud ou Taïwan notamment, les luttes ouvrières aidant, les salaires finissent par augmenter. Un ouvrier travaillant dans une grande entreprise de Séoul n’est pas loin de toucher, à qualification égale, un salaire équivalent à celui d’un travailleur de la région parisienne.

Pour certains produits concernant essentiellement deux secteurs (le textile et les composants électroniques), l’attraction des bas salaires joue. Les parcs industriels, spécialement aménagés en Indonésie ou à Singapour, où la main-d’oeuvre bon marché est livrée en même temps que les aménagements, attirent un certain nombre de trusts de l’électronique ou de l’audiovisuel (Thomson, Schneider notamment, aux côtés de Philips, ATT ou Sanyo). Et il en est d’autres du textile, pour profiter de la main-d’oeuvre encore plus mal payée des « zones spéciales » en Chine. Mais il ne faut pas oublier que pour les principaux secteurs où est concerné le grand capital, la part du capital variable est de plus en plus faible par rapport à celle du capital constant. La part des salaires serait de moins de 10 % par rapport au capital investi dans l’industrie automobile, 5 % dans les entreprises fabriquant des télévisions de dernière génération, 3 % dans la filière des semi- conducteurs. Lorsque Citroën investit en Chine, il profite bien sûr de la main-d’oeuvre bon marché, non pour faire envahir la France par des voitures « made in China », mais pour en vendre à la couche de privilégiés chinois.

Et la délocalisation vers d’autres pays industrialisés ?

La « mondialisation » et le « dumping social » ont encore été invoqués lorsque, en 1993, l’entreprise Hoover décida de délocaliser son usine de Dijon pour l’installer en Ecosse. Ils sont invoqués avec le déménagement actuel de l’usine JVC de la Lorraine, toujours vers l’Ecosse.

Il y a de quoi être choqué par le « droit » d’un patron de fermer son usine comme il l’entend, pour la déménager là où il veut, en fonction de ses seuls intérêts. Il y a de quoi être choqué, dans le cas de JVC, par le fait que l’entreprise avait touché des primes importantes pour s’installer en Lorraine et qu’elle se prépare maintenant à en toucher d’autres comble des combles, de la part de Bruxelles là où elle va s’installer.

Mais ce genre de déménagement, et pour les mêmes raisons, n’est pas meilleur lorsque l’endroit quitté et l’endroit de destination sont tous les deux en France. Le détournement de l’affaire vers le protectionnisme national est d’autant plus ridicule que ni Hoover ni JVC ne sont des entreprises « françaises ».

De façon plus générale, si la France est une des principales puissances exportatrices de capitaux dans le monde, elle est aussi une des premières importatrices. Insister seulement sur les 2,2 millions de travailleurs d’autres pays qui ont trouvé du travail dans des entreprises sous contrôle de capitaux français exportés, pourrait être seulement ridicule, car les firmes à capitaux étrangers emploient près d’un quart des salariés en France.

La mondialisation permet-elle aux pays pauvres de rattraper les pays riches ?

C’est une stupidité intéressée largement répandue. Elle est appuyée d’abord sur l’escroquerie qui consiste à extrapoler à partir d’une vingtaine de pays semi- développés d’Asie et d’Amérique latine des généralisations sur l’ensemble des pays pauvres.

L’administrateur du PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement) qui, à en juger par ses fonctions, n’est certainement pas un révolutionnaire, vient de déclarer dans une interview récente donnée au journal Le Monde :

« Il y a un premier mythe à combattre. C’est celui d’un monde en développement qui, grâce à la globalisation de l’économie mondiale, irait de mieux en mieux sous la conduite d’une quinzaine de dragons ». En réalité, « dans plus d’une centaine de pays, le revenu par habitant est aujourd’hui plus bas qu’il n’était il y a quinze ans. En clair, près de 1,6 milliard d’individus vivent plus mal qu’au début des années quatre-vingt ».

"En l’espace d’une génération et demie, l’écart entre pays riches et pauvres s’est accru. Au début des années soixante, il était de 1 à 30 entre les 20 % les plus riches de la planète et les 20 % les plus pauvres. Aujourd’hui, il est de 1 à 60, alors même que la richesse globale a considérablement augmenté (...).

Les trois quarts du flux d’investissements étrangers directs destinés aux pays pauvres se concentrent en fait sur moins d’une douzaine de pays, la plupart situés en Asie. L’Afrique, elle, n’a droit qu’à des miettes (6 %), et les pays les moins avancés, dont le continent noir fournit le gros du contingent, à un maigre 2 %".

Mais même le prétendu développement de cette douzaine de pays qui bénéficient de la quasi totalité des flux d’investissements occidentaux n’est qu’une extrapolation, orientée, à partir de l’industrialisation et de l’augmentation rapide de la production de certaines zones franches en fonction des besoins des commanditaires impérialistes.

En voie de développement, la Chine ? En voie de développement même le Mexique ? « Le privilège » de bénéficier des investissements occidentaux signifie surtout une exploitation et un pillage plus grands, l’émergence ou le renforcement d’une couche privilégiée locale plus ou moins compradore avec, et c’est le seul aspect positif pour l’avenir, la transformation d’une fraction toute petite des classes pauvres de ces pays en prolétariat. Et puis, est- ce que les entreprises étrangères en Chine sont plus importantes relativement qu’elles ne l’étaient en 1927 ?

Il est possible de citer quelques grandes sociétés multinationales coréennes ou brésiliennes. Encore faudrait-il voir, pour chacune, quelle est la part de capitaux américains ou japonais. Mais de toute façon, parmi les cent plus importants trusts qui dominent l’économie mondiale, il n’y en a pas un seul issu des pays du Tiers monde. Les trois quarts (75 sur les 100) se répartissent entre cinq pays impérialistes : les États-Unis, bien sûr, le Japon, la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Les rapports de forces entre puissances impérialistes ont changé depuis l’époque où Lénine a écrit L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, mais pas l’identité des principaux brigands qui pillent la planète.

Mondialisation et étatisme

La « mondialisation » n’a pas réduit le rôle des États. Au contraire. Et pas seulement dans le domaine de la diplomatie économique. Dans tous les pays impérialistes, même ceux dont les dirigeants font le plus profession de foi de libéralisme, le budget de l’État, les caisses publiques sont transformés en réservoirs destinés à financer le parasitisme des grands groupes financiers. D’où l’abandon croissant des services publics, même dans les pays les plus riches. D’où aussi l’endettement considérable et sans cesse croissant des États.

C’est un éclairage particulièrement orienté que de présenter les États impérialistes comme les victimes impuissantes des marchés financiers. Les États ne sont pas les victimes passives de l’évolution économique, mais des acteurs conscients. Ce sont eux, leurs déficits, leurs émissions d’emprunts pour les combler, leurs besoins de financement pour aider leur grande bourgeoisie, leurs politiques de privatisation même, qui alimentent les capitaux spéculatifs.

C’est pourquoi, revendiquer un rôle accru pour les États nationaux comme antidote à la mondialisation, synonyme de capitalisme débridé, présenter cela comme une idée progressiste, comme le fait le PC, est une stupidité. Et une stupidité réactionnaire.

Il n’y a pas de retour en arrière par rapport à l’impérialisme. Et si l’impérialisme se sentait contraint par une crise, par un effondrement économique, de se réfugier derrière des politiques protectionnistes, cela se ferait au prix d’un abaissement encore plus catastrophique du niveau de vie de la classe ouvrière, au prix aussi de régimes autoritaires ou fascistes pour l’imposer. L’intérêt du prolétariat, ce n’est pas de combattre l’internationalisation de la production, l’interpénétration des économies, mais de combattre pour le renversement de l’ordre capitaliste à l’échelle du monde. La réorganisation de l’économie sur une base supérieure, rationnelle le communisme n’est possible que sur la base d’une économie qui, quoi qu’en disent les réactionnaires de tous bords, est internationalisée depuis longtemps. Et si, en sous- produits modestes des exportations de capitaux impérialistes, des entreprises industrielles naissent là où il n’y en avait pas auparavant, si cela fait surgir un prolétariat industriel là où jusqu’à maintenant il n’y avait que des masses pauvres sous-prolétarisées, eh bien, tant mieux. Les travailleurs de Corée du Sud, d’Indonésie ou de Chine ne sont pas des adversaires, ni même des concurrents, mais les contingents nouveaux de ce prolétariat mondial qui, seul, peut arracher le pouvoir à la bourgeoisie et mettre fin au capitalisme et à son avatar ultime, l’impérialisme. 

(LO, 26 octobre 1996)

lundi 28 septembre 2015

:: Septembre 1957 : le mouvement noir en lutte contre la ségrégation scolaire à Little Rock

Le 24 septembre 1957, Little Rock, capitale de l'Arkansas, offrait un spectacle inédit : le président Eisenhower y avait envoyé l'armée et les parachutistes, toute une division aéroportée, pour faire entrer dans le lycée de Central High, jusqu'alors réservé aux Blancs, neuf élèves noirs. La détermination de la population noire à briser une ségrégation qui privait de fait les Noirs du droit à l'éducation, tenant tête à la violence haineuse des racistes, obligeait le président à intervenir.


C'est trois ans plus tôt, en 1954, au terme d'une bataille juridique menée par l'aile modérée du mouvement noir, que la Cour suprême avait déclaré illégale la ségrégation scolaire qui, dans le sud des États-Unis, interdisait aux élèves noirs de fréquenter des collèges jusqu'alors réservés aux élèves blancs. Mais les réticences des dirigeants politiques et de l'appareil d'État à faire respecter les quelques mesures en faveur des droits des Noirs, que ceux-ci avaient réussi à obtenir de la Cour suprême après des luttes courageuses et opiniâtres, encourageaient les racistes à s'opposer par la force à tout début d'application, en particulier dans le sud des États-Unis.

Si bien que lorsque le maire de Little Rock tenta un tout début de déségrégation dans un seul lycée de la ville en y inscrivant neuf élèves noirs, le gouverneur de l'État, qui cherchait l'appui des racistes pour sa réélection, encouragea ces derniers à se mobiliser et fit savoir, la veille de la rentrée scolaire, le 2 septembre, qu'il mobiliserait la Garde nationale contre les élèves noirs, et que, s'il le fallait, " le sang coulerait dans les rues ". Ces propos, raconte une militante noire, " électrifièrent Little Rock. Le lendemain matin, ils choquèrent les États-Unis. À midi, ils horrifiaient le monde entier. "

Le 3 septembre 1957, neuf élèves noirs se présentèrent donc à l'entrée du lycée. Les racistes ainsi qu'une unité de la Garde nationale, baïonnette au canon, les empêchèrent de pénétrer. Mais ils refusèrent d'intégrer une école noire et la Garde nationale resta campée devant le lycée pendant des jours, jusqu'à ce qu'Eisenhower convainque le gouverneur de bien vouloir retirer ses troupes.

Celui-ci finit par obtempérer mais en appelant, à la télévision, les élèves noirs à renoncer à se présenter au lycée, ce qui revenait à appeler tous les racistes à se mobiliser pour les en empêcher. Le 23 septembre, des centaines de ségrégationistes se massèrent devant le lycée. Ils tabassèrent trois journalistes noirs pris pour des parents d'élèves, pendant que les neuf lycéens, escortés par la police municipale, réussissaient à pénétrer dans le lycée par une porte latérale.

Dès qu'ils apprirent la nouvelle, la foule des racistes mena l'assaut contre le lycée. La police réussit à en extraire les neuf élèves et à les reconduire chez eux. Ils avaient échappé au lynchage. Mais la tension était à son comble dans la ville. Et les autorités avaient tout lieu de craindre que la population noire se mobilise tout entière pour faire respecter ses droits.

Après tout, c'est bien ce qui venait de se passer à Montgomery en Alabama, où toute la population noire de la ville avait fait bloc et s'était organisée avec un courage sans faille pour boycotter les bus de la ville pendant une année entière jusqu'à obtenir, en décembre 1956, la fin de la ségrégation dans ces transports publics.

Un peu partout dans le pays, des incidents plus ou moins graves témoignaient d'une révolte profonde des Noirs contre les humiliations qu'on leur faisait subir et d'une volonté d'affirmer leur dignité d'homme et de femme, quel qu'en soit le prix. Voilà qui ne pouvait qu'effrayer les autorités.

Devant la tension croissante, le maire de Little Rock demanda donc l'intervention des troupes fédérales. Le lendemain, 24 septembre, le président Eisenhower décidait d'envoyer ses troupes. Et c'est escortés de parachutistes et de jeeps avec des mitrailleuses que les neuf élèves noirs purent intégrer le lycée. Ils durent encore affronter pendant des mois les vexations et les quolibets des élèves racistes. " Tous les matins pendant neuf mois nous nous levions, nous cirions nos chaussures, et nous partions à la guerre ", déclara l'un des neuf élèves.

Cette obstination, qui puisait sa force dans un mouvement noir en plein développement, fut aussi un stimulant et un exemple pour les adversaires de la ségrégation. Il fallut encore deux ans de lutte pour que Little Rock commence une déségrégation progressive. Mais cette affaire nourrit la colère et la mobilisation d'une génération qui entendait briser la ségrégation dans les écoles, mais aussi dans les universités, les restaurants et tous les lieux publics jusqu'alors interdits aux Noirs.

Tout ce qui fut obtenu alors le fut grâce à ces luttes menées avec courage et acharnement.

Vincent GELAS (LO n°2043)

:: Afrique du Sud : 12 septembre 1977, l'assassinat de Steve Biko

Le 12 septembre 1977 Steve Biko, leader du Mouvement de la Conscience Noire (Black Consciousness Movement), mouvement anti-apartheid qu'il avait fondé, était froidement assassiné dans sa cellule par les tortionnaires du régime sud-africain. Le gouvernement tenta de faire croire qu'il était mort à cause d'une " grève de la faim ". Le ministre de la Justice de l'époque déclara même, avec cynisme, que sa mort " le laissait froid ". L'assassinat de ce dirigeant du mouvement anti-apartheid (Nelson Mandela était en prison) ne fit pas taire la contestation. Au contraire, celle-ci s'amplifia, d'abord au sein du pays, mais aussi au niveau international. Les instances internationales telles que l'ONU, qui avaient jusqu'alors marqué une certaine bienveillance à l'égard du régime raciste sud-africain, furent contraintes, pour la première fois, de prendre des sanctions.

La vie militante de Steve Biko, médecin de 30 ans, se confond avec celle des masses sud-africaines en lutte contre le régime de l'apartheid et pour leur émancipation sociale. Cette politique de ségrégation raciale, mise en place par le Parti National en 1948 en Afrique du Sud, prétendait se justifier par le développement séparé des races : les Blancs, minoritaires, descendants des colons blancs, dirigeaient le pays, occupaient les postes politiques, détenaient les usines, les grandes propriétés foncières, tandis que les Noirs, majoritaires, étaient considérés comme des citoyens de seconde zone dans leur propre pays. Ils étaient parqués dans des ghettos (les townships) et des réserves appelées " bantoustans ".

Le pouvoir réprimait violemment le moindre signe de contestation et de révolte. Le Parti Communiste mais aussi l'ANC (l'African National Congress) étaient interdits. Leurs dirigeants étaient arrêtés, emprisonnés, voire assassinés. Bien que la répression du régime sud-africain fût féroce, comme à Sharpeville en 1960 où les forces de répression tirèrent sur la foule, les Noirs d'Afrique du Sud s'organisaient et contestaient de plus en plus le régime raciste blanc. Le mouvement ouvrier s'organisait. Des syndicats se formaient dans la clandestinité. La jeunesse scolarisée se politisait.

Steve Biko prit part à toutes les luttes anti-apartheid de l'époque et devint l'un des leaders nationalistes de la population noire des plus en vue. Il fut plusieurs fois arrêté et jeté en prison.

En juin 1976, le gouvernement décida d'imposer aux élèves noirs l'afrikaans, c'est-à-dire la langue des colonisateurs boers (les premiers colons hollandais). Cela fut à l'origine des émeutes de la jeunesse scolarisée dans le ghetto noir de Soweto, situé dans la banlieue de Johannesburg.

Cette humiliation supplémentaire poussa la jeunesse dans la rue, tant la haine accumulée contre le régime était profonde. La répression des émeutes de Soweto fut sanglante. La police tira sur les jeunes, lâcha les chiens, tandis que tanks et hélicoptères quadrillaient les quartiers pauvres. Le bilan de la répression fut de 1 000 blessés et 1 300 arrestations et environ 600 morts selon les chiffres officiels, sans doute près d'un millier. Le gouvernement accentua la répression en jetant en prison les militants politiques et syndicaux afin de tenter de décapiter le mouvement de contestation populaire. Arrêté et torturé, Steve Biko fut parmi les victimes. Mais les luttes contre le régime de l'apartheid n'en continuèrent pas moins, jusqu'à son abolition en 1991.

Le gouvernement sud-africain, auquel participent désormais Blancs et Noirs, vient de célébrer en grande pompe le trentième anniversaire de la mort de Steve Biko et lui rend hommage. Mais, malgré les changements politiques de ces dernières années, la population noire d'Afrique du Sud est toujours frappée dans sa très grande majorité par la pauvreté, le chômage et la misère. Soweto reste un ghetto comme il y en a encore tant d'autres. 87 % des terres cultivables sont toujours aux mains des grands propriétaires fonciers blancs. Si la ségrégation raciale officialisée fait désormais partie du passé, la ségrégation sociale subsiste pour les masses noires pauvres.

R.C. (LO n°2042)

Le film Le Cri de la Liberté (Cry Freedom), du réalisateur Richard Attenborough, sorti en 1987, retrace la vie militante de Steve Biko et son assassinat par les forces de l'ordre ségrégationnistes. Il met en évidence toute la période de montée des luttes anti-apartheid du peuple sud-africain, évoquant notamment les émeutes de Soweto en 1976.

dimanche 27 septembre 2015

:: Turquie, 12 septembre 1980 - le coup d'Etat du général Evren

Il y a vingt ans, le 12 septembre 1980, les habitants d'Istanbul et des grandes villes turques étaient réveillés par un fracas de chars occupant la rue. L'armée, avec à sa tête le chef de l'état-major, le général Kenan Evren, venait de prendre le pouvoir. Le gouvernement était démis, l'Assemblée nationale était dissoute, de même que l'ensemble des partis politiques, dont les dirigeants étaient arrêtés et les biens saisis, les syndicats et les grèves étaient interdits. La radio officielle annonçait que l'armée contrôlait la situation et que le calme régnait dans l'ensemble du pays. Le général Evren indiquait qu'une nouvelle Constitution serait mise en place dès que possible et que, après avoir accompli son oeuvre, l'armée transmettrait au plus vite l'administration du pays " à un régime démocratique, fondé sur les principes de la laïcité et du droit ".

Dans l'immédiat cependant, la prise de pouvoir de l'armée se traduisit par une vague de répression. Selon le bilan fait plus tard par la presse turque, 650 000 personnes furent arrêtées, 230 000 passèrent en jugement, dont 7 000 pour lesquelles la peine de mort fut requise. Celle-ci fut prononcée dans 517 cas, et cinquante personnes effectivement exécutées. Et ce bilan chiffré ne dit rien des innombrables exactions, des tortures et des violences en tout genre qui accompagnèrent l'action de l'armée, des vies brisées, des militants ne trouvant plus de travail et forcés de s'expatrier.

Instabilité politique et sociale

Le coup d'Etat militaire n'était certes pas une surprise. Depuis que le fondateur de la Turquie moderne, Mustafa Kemal, s'est appuyé sur l'armée pour prendre le pouvoir au lendemain de la Première Guerre mondiale, l'armée turque n'a jamais été bien loin du gouvernement, même si le régime s'est souvent affublé d'une façade parlementaire. En 1960 et 1971 déjà, l'armée était intervenue pour mettre fin aux jeux parlementaires et exercer elle-même le pouvoir. Encore une fois, en cette année 1980, le but de l'armée était, par son coup d'Etat, de mettre fin à une instabilité politique et sociale qui pouvait devenir dangereuse pour la bourgeoisie.

Les années soixante et soixante-dix avaient été marquées, en particulier, par le développement de la combativité ouvrière. Le développement numérique de la classe ouvrière, sa jeunesse, sa situation proche de la misère, l'inflation de l'ordre de 100 % par an, tout cela entraînait le développement de ses luttes. On avait assisté au développement d'un nouveau syndicat, la DISK (Confédération des Syndicats Ouvriers Révolutionnaires), formé entre autres par des dirigeants syndicaux proches du PC turc, et plus combatif que le vieux syndicat officiel Türk-Is.

A ces luttes répondait souvent la répression, voire l'action armée de milices d'extrême droite ou bien les provocations des services secrets. Le 1er mai 1977, place Taksim à Istanbul, des tireurs postés sur les toits avaient tiré sur les manifestants ouvriers, faisant 34 tués. En décembre 1978, dans la ville de Kahramanmaras, des milices d'extrême droite avaient accompli une véritable expédition punitive contre la population locale, faisant des centaines de morts. Mais ces actions, et d'autres comportant parfois l'intervention directe de l'armée pour affronter des grévistes, n'avaient pas entamé la combativité ouvrière.

En même temps, sur le plan politique, l'instabilité dominait, marquée par l'alternance au pouvoir du Parti Républicain du Peuple du social-démocrate Bülent Ecevit (aujourd'hui de nouveau au gouvernement) et du Parti de la Justice, de droite, de Demirel. Mais ces gouvernements montraient, surtout, leur incapacité à mettre fin à la crise politique, économique et sociale.

Les actions de l'armée et celles de l'extrême droite étaient une annonce claire. L'état de siège avait été proclamé dans de nombreux départements. En janvier 1980 l'état-major avait lancé un premier avertissement aux " civils " disant qu'elle ne laisserait pas le désordre s'installer dans le pays. En juillet 1980, l'extrême droite avait assassiné Kemal Türkler, un des fondateurs de la DISK et dirigeant du syndicat de la métallurgie. Mais ni les syndicats, ni les organisations de gauche, ni même celles d'extrême gauche souvent d'inspiration maoïste ou guevariste, n'étaient prêtes à préparer la classe ouvrière à faire face à un coup d'Etat.

L'armée contre la classe ouvrière

Pour plusieurs années, celui-ci allait donc faire tomber une chape de plomb sur la Turquie. Bien sûr l'armée se présentait comme un arbitre au-dessus des classes, voulant éviter au pays une guerre civile et notamment stopper le développement du terrorisme dont était responsable essentiellement l'extrême droite. La répression en Turquie n'atteignit pas non plus le degré de férocité que l'on avait connu lors des coups d'Etat des années soixante-dix au Chili, en Argentine. Mais malgré tout, la répression visait essentiellement la classe ouvrière. L'armée, la bourgeoisie, l'appareil d'Etat voulaient mettre un coup d'arrêt au développement de sa combativité et de sa confiance en elle-même, à laquelle on assistait depuis des années. Le résultat du coup d'Etat fut de geler pour quelques années toutes les réactions ouvrières, et notamment ses réactions de défense face à l'inflation, qui n'en continua pas moins. Ainsi, en quelques années, les salaires ouvriers réels furent pratiquement divisés par deux. La " stabilisation économique " que les militaires disaient rechercher fut ainsi payée d'abord par les travailleurs et la population pauvre.

Dans la période suivante, l'armée allait quitter peu à peu le devant de la scène politique, mais cela non sans avoir mis en place une nouvelle Constitution. Un nouveau système électoral à logique majoritaire limita les possibilités des petits partis d'avoir des élus au Parlement. Une nouvelle législation sur le droit de grève plaça celui-ci dans le cadre d'une réglementation très stricte renforçant énormément le pouvoir des bureaucraties syndicales. Enfin, le rôle politique de l'armée fut institutionnalisé par la création du MGK, le " Conseil National de Sécurité ", sorte de super-gouvernement dans lequel les ministres durent siéger aux côtés des chefs de l'armée.

A partir du milieu des années quatre-vingt cependant, l'emprise de l'armée allait peu à peu se relâcher. Les anciens dirigeants politiques, les Demirel et les Ecevit, refirent peu à peu surface. Une certaine effervescence politique se manifesta de nouveau. Dès 1986 on assista à de premières grèves. En 1989, il y eut une multiplication des luttes, les travailleurs bravant l'interdiction de faire grève en déclarant que, s'ils quittaient le travail en masse, c'était " pour se rendre chez le médecin "... En 1990-1991, ce fut la grande grève des mineurs de Zonguldak qui, à plusieurs dizaines de milliers, entamèrent une marche sur Ankara. Dix ans après le coup d'Etat du général Evren, la classe ouvrière turque démontrait ainsi qu'elle n'était nullement brisée.

Depuis, les gouvernements qui ont remplacé le pouvoir direct des militaires se succèdent en se discréditant rapidement. L'inflation qui oscille entre 80 et 100 % l'an, les scandales de corruption, la pourriture d'une armée et d'une police gangrenées par l'extrême droite, l'arbitraire, la torture qui est monnaie courante dans les prisons, tel est le visage du régime turc même après son retour à la " démocratie " parlementaire. L'armée a quitté le devant de la scène politique, mais elle n'en adresse pas moins périodiquement ses remontrances aux gouvernements civils. Pendant plus de dix ans, c'est elle qui a dicté pratiquement seule la politique de terre brûlée menée contre la guérilla du Kurdistan.

Mais depuis des années aussi, c'est ce même régime qui, pour gouverner contre la classe ouvrière, a largement besoin du secours des bureaucraties syndicales et de la législation, mise en place par les militaires, qui renforce celle-ci face aux travailleurs. Et c'est l'aveu qu'au fond, malgré tout, la classe ouvrière reste une force dont les dirigeants turcs sont contraints de tenir compte.

André FRYS (LO n°1680)

:: Septembre 1970 : le " septembre noir " des palestiniens de Jordanie

Le peuple palestinien se trouve toujours aujourd'hui dans une situation tragique. Le processus que l'on appelle " de paix " avec Israël n'a évidemment rien résolu. Il a permis surtout à Israël de se sortir - momentanément du moins - du bourbier sanglant dans lequel se débattait son armée du fait de l'Intifada. Arafat et ses proches, qui ont pesé de tout leur poids pour mettre un terme à cette " guerre des pierres ", ont obtenu en échange quelques confettis de territoires en Cisjordanie, ainsi que le contrôle de ce vaste bidonville que constitue Gaza. Mais la population palestinienne n'a vu en rien son sort s'améliorer.

Des potentialités révolutionnaires


Pourtant, il y a trente ans, dans les années soixante-dix, de tout autres perspectives semblaient exister pour le peuple palestinien. Les organisations nationalistes palestiniennes étaient au sommet de leur force. Quelques années auparavant, en 1967, la guerre des Six Jours entre Israël et les pays arabes s'était terminée par la débâcle militaire de ces derniers. L'occupation de la Cisjordanie par Israël avait entraîné un nouvel exode massif de population palestinienne, en particulier vers la Jordanie toute proche.
Cette défaite modifia considérablement les rapports de force dans la région. Elle renforça bien sûr Israël, mais ébranla aussi profondément tous les régimes arabes qui s'étaient montrés aussi militairement impuissants. En particulier, la population palestinienne perdit confiance dans la capacité de ces régimes à résoudre ses problèmes et se tourna vers les organisations nationalistes, jusque-là très minoritaires.

C'est ainsi que des dizaines de milliers de réfugiés, jeunes et moins jeunes, affluèrent dans les organisations palestiniennes, en particulier vers le Fath de Yasser Arafat ou le FPLP de Georges Habache, qui proposaient de poursuivre la lutte armée.

La Jordanie, qui possède la frontière la plus longue avec Israël, devint dès lors le fief de ces organisations. Dans ce pays semi-désertique, les Palestiniens étaient désormais majoritaires. Les commandos armés palestiniens avaient pignon sur rue et comptaient plus de 40 000 combattants, les " fedayins " ; l'armée jordanienne elle-même était composée en majorité de Palestiniens. De fait, les dirigeants de l'OLP, l'Organisation de Libération de la Palestine, apparaissaient comme les futurs maîtres du pays.

Cette montée en puissance du mouvement palestinien posait bien sûr un sérieux problème au roi de Jordanie, mais il en posait aussi à tous les régimes arabes, ainsi qu'à l'impérialisme américain et à ses alliés.

Depuis la fondation de l'Etat d'Israël en 1948, les dictateurs arabes utilisaient la tragédie du peuple palestinien pour justifier les malheurs de leur propre peuple, et présentaient le problème palestinien comme celui de tous les Arabes. Ils encourageaient ainsi eux-mêmes les fellahs égyptiens, syriens, irakiens ou jordaniens à se sentir totalement solidaires du réfugié palestinien, à partager ses aspirations et ses espoirs, à se sentir, en un mot, palestiniens.

Tant que les organisations palestiniennes étaient pratiquement inexistantes, cette démagogie n'avait pas trop de conséquences. Mais avec leur développement, il en allait différemment. Présents dans de nombreux pays arabes, les réfugies palestiniens, devenus des combattants organisés militairement de façon autonome à l'égard des régimes arabes, étaient désormais un symbole pour tous les pauvres de la région. Et eux, qui n'étaient que quelques dizaines de milliers dans leurs organisations, pouvaient devenir un point de ralliement pour des dizaines de millions d'hommes, pour tous les peuples de la région.

C'était là une énorme force, potentiellement révolutionnaire, qui constituait une menace, non seulement pour Israël et pour l'impérialisme mais aussi pour les régimes arabes corrompus, et qui aurait pu permettre d'affronter l'impérialisme avec des moyens bien différents.

Les Palestiniens n'en avaient sans doute guère conscience et en tout cas leurs dirigeants ne voulaient pas d'une telle perspective. Au contraire, Arafat, tout comme Habache qui se présentait pourtant volontiers comme marxiste, répétaient à tout-va que leurs ambitions étaient purement palestiniennes et qu'il n'était pas question pour eux de s'ingérer dans les affaires intérieures des Etats arabes.

Hussein passe à l'action

Mais pour les dirigeants de ces pays, comme pour l'impérialisme, ce n'était pas suffisant. Les uns comme les autres ne se fiaient que partiellement à Arafat et à ses compagnons pour contrôler les Palestiniens.

Le roi Hussein de Jordanie, le plus immédiatement concerné, se chargea donc de la répression. Pour passer à l'action, on saisit l'occasion du plan Rogers, un prétendu plan américain de paix qui fut accepté durant l'été 1970 par l'URSS, les pays arabes, et dont Israël fit mine de bien vouloir discuter. A ce moment, le Fath et surtout le FPLP de Habache menaient une campagne de détournements d'avions et d'attentats. Les organisations palestiniennes furent présentées comme les saboteurs de toute tentative de paix. Et c'est avec la bénédiction du monde entier - du leader égyptien Nasser, de l'Américain Nixon ou du Russe Kossyguine - que Hussein lança ses troupes contre les fedayins.

Le 17 septembre 1970, l'armée jordanienne utilisa ses blindés et son aviation au sein même des principales villes du pays, pilonnant les positions des organisations palestiniennes. La direction de l'OLP laissa les groupes de fedayins complètement livrés à eux-mêmes, sans directives. Ils furent vaincus les uns après les autres. Leur combat fut cependant héroïque et, malgré des milliers de morts, les troupes jordaniennes ne purent en venir à bout rapidement. Cette résistance acharnée obligea d'ailleurs les Etats arabes, tous complices, à condamner verbalement Hussein, et celui-ci dut conclure un accord de cessez-le-feu avec Arafat.

Le leader palestinien, fidèle à sa politique, chercha surtout à retrouver le soutien de ces dirigeants arabes qui venaient pourtant de laisser massacrer ses troupes. Il accepta les conditions de Hussein et fit évacuer progressivement ses combattants hors de Jordanie (en partie vers le Liban, où un drame similaire allait se jouer quelques années plus tard).

L'OLP avait laissé les fedayins se battre seuls, sans même les préparer, et elle venait d'essuyer son premier désastre. Mais surtout, en refusant de combattre les régimes arabes, qui se révélaient aussi des ennemis du peuple palestinien, tout comme Israël et l'impérialisme, elle s'engageait dans une logique de capitulations successives qui n'allait plus se démentir par la suite, dégradant toujours plus la situation du peuple palestinien et de ses leaders. On le vérifie plus que jamais aujourd'hui.

Paul BARRAL (LO n°1679)

:: 5 septembre 1960 : le procès Jeanson et le manifeste des 121

Le 5 septembre 1960 débutait devant un tribunal militaire, à Paris, le procès de militants algériens du FLN et d'un réseau métropolitain de soutien à ce dernier, le " réseau Jeanson ", du nom de son initiateur. Francis Jeanson avait organisé des militants qui se donnaient comme objectif d'" organiser l'hébergement en France des responsables du Front et faciliter l'acheminement vers l'extérieur des sommes versées à cette organisation par les travailleurs algériens ". On les appelait " les porteurs de valises ".

Le jour même où le procès commençait, fut annoncée la " Déclaration sur le droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie " dit " Manifeste des 121 ". 121 personnalités des arts, du spectacle, de la science ou de l'université, et des plus connus tels Sartre, André Breton, Théodore Monod, Pierre Boulez, Simone Signoret, y affirmaient courageusement non pas un soutien de pure forme avec les accusés, mais leur solidarité avec le combat du FLN. Ils justifiaient également le refus de combattre en Algérie et la désertion de soldats français.

Cet appel fit grand bruit. Depuis le début de la guerre en Algérie, en 1954, individuellement ou collectivement, des intellectuels s'étaient déjà élevés contre tel ou tel crime et méfait de la guerre, en particulier contre la pratique de la torture. Mais le Manifeste des 121 était le premier du genre à avoir une telle ampleur et surtout un tel contenu. Venant d'un milieu habituellement peu enclin, sauf exceptions individuelles, à contester la loi et l'Etat, cette incitation de fait à la désertion était un camouflet pour celui-ci, pour ses gradés, ses juges et le gouvernement de Gaulle. Leur réaction ne se fit pas attendre. Ainsi, certains signataires fonctionnaires furent révoqués, tel l'universitaire Pierre Vidal-Naquet, ou le mathématicien Laurent Schwartz, professeur à l'ƒcole polytechnique dont le fils fut même enlevé par l'extrême droite.

Bien sûr, l'initiative des 121 eut un impact limité, touchant surtout les enseignants et les étudiants dont bon nombre n'avaient pas la moindre envie de partir faire la guerre en Algérie. La guerre allait durer près de deux années encore.

De leur côté, les forces qui en France disposaient alors du crédit et des militants nécessaires pour tenter de mobiliser collectivement les masses contre la guerre, le PCF et la CGT, se gardaient bien de le faire ou ne le firent que de façon très limitée. Jamais elles n'en appelèrent à la force collective des travailleurs pour refuser à l'Etat et à l'armée les moyens de leur guerre contre le peuple algérien. Jamais elles ne tentèrent par exemple de convaincre les travailleurs de refuser les impôts, le transport des armes ou la fabrication du matériel de guerre. Le PCF et la CGT critiquèrent même l'incitation à l'insoumission du Manifeste des 121 sous prétexte que c'était un geste individuel. Or ces organisations, elles, auraient eu l'occasion de tenter d'organiser le refus collectif de la guerre en 1955 et 1956, lorsque les gouvernements de l'époque ordonnèrent le rappel des réservistes puis l'envoi du contingent en Algérie. En effet, des recrues, des " rappelés " principalement, tentèrent alors dans plusieurs endroits de bloquer les trains pour ne pas partir, avec souvent la participation de membres du PCF ou de la JC. Mais le PCF ne fit rien alors pour essayer d'en faire un mouvement général et politique contre la guerre coloniale. Pire, en mars 1956, il vota les pouvoirs spéciaux au socialiste Guy Mollet qui les utilisa pour étendre la guerre et envoyer justement en Algérie les appelés du contingent. La principale opposition à la guerre d'Algérie se manifesta donc dans les milieux intellectuels et étudiants. Le manifeste des 121, de 1960, puis un peu plus tard les manifestations de l'UNEF allaient contraindre PCF et CGT à manifester à leur tour. Mais c'était après six ans de guerre durant lesquels ils étaient restés passifs, quand ils n'avaient pas carrément apporté leur caution à des gouvernements qui accentuaient la guerre, comme celui de Guy Mollet.

Michel ROCCO