vendredi 12 octobre 2012

:: Sentiment national et mouvement révolutionnaire dans les pays impérialistes. L'exemple du mouvement trotskyste en France durant l'occupation allemande (Voix Ouvrière, 1968)


Tout comme à l’époque du "Manifeste Communiste", la société humaine est divisée en deux classes fondamentales : bourgeoisie et prolétariat. Des succès, des victoires d’autres classes opprimées que le prolétariat, des armées paysannes à direction radicale en particulier, peuvent, par endroits et par moments, apporter des solutions limitées et circonstanciées aux problèmes les plus brûlants de leurs pays. Il n’en reste pas moins qu’à terme et à l’échelle mondiale, l’avenir de l’humanité se joue entre les deux classes fondamentales de la société capitaliste. C’est la conscience profonde de ce fait qui distingue le révolutionnaire prolétarien du révolutionnaire petit-bourgeois.
Il est cependant infiniment peu probable, à l’exception peut-être de circonstances très particulières dans les pays hautement industrialisés, que l’éclosion de la révolution prolétarienne se fasse sous forme d’un processus unique, en quelque sorte « chimiquement pur », mue par le seul antagonisme entre les deux classes fondamentales. Elle se fera très certainement au cours d’une explosion sociale, mettant en mouvement la masse de tous les opprimés et mécontents, outre le prolétariat, la masse des petits-bourgeois urbains, des paysans, des semi-prolétaires, avec leurs préjugés, avec leur inconsistance, avec leur inconscience politique.
Sans la participation de ces masses, aux intérêts, aux objectifs politiques divers, mais unies dans le même mécontentement, dans la même volonté de changement, la révolution n’est pas possible. Le rôle du prolétariat avancé, de l’organisation révolutionnaire en particulier, sera alors d’exprimer le sens objectif de cette lutte, et par là même, de l’orienter et de l’unifier sous la direction de la seule classe historiquement capable de la pousser jusqu’au bout : le prolétariat industriel.
Avant d’être unifiée politiquement, la lutte de ces masses le sera d’abord par le sentiment commun d’être opprimé. Le rôle de tels « sentiments unificateurs » a été, de tout temps, le ressort principal du déclenchement de toute explosion révolutionnaire. Le sentiment national, la conscience d’une oppression nationale ou d’un danger d’oppression nationale, en est un, et des plus importants. Ce sentiment est composé de nombreux éléments, dont les dominantes varient suivant la classe, la couche sociale, qu’il entraîne au combat. Exutoire d’un sentiment d’oppression sociale pour certaines couches exploitées, il peut être aussi le reflet de l’influence d’une classe exploiteuse chauvine. Réactionnaire par certains de ses aspects, mobilisateur dans un sens progressif par d’autres, le sentiment national ne peut, en tout état de cause, être ignoré par les révolutionnaires. Il reste à notre époque encore, un des sentiments les plus profondément ancrés dans les masses populaires, autour duquel elles sont prêtes à se mobiliser, pour lequel elles sont prêtes à se battre.
Parmi les exemples du passé, chacun sait l’importance de l’invasion et de l’occupation prussienne dans le déclenchement de la Commune de Paris. De même, l’incapacité dé la démocratie bourgeoise, durant son court passage au pouvoir, à apporter une réponse satisfaisante, et même une réponse quelconque, à la brûlante question nationale, a été un puissant facteur dans l’éclosion de la révolution prolétarienne hongroise de 1919.
Il existe cependant des exemples plus récents. Un parti révolutionnaire n’aurait pas pu rester neutre, ni s’opposer sans discernement à la puissante vague de sentirent national qui imprima une marque particulière à tous les facteurs qui firent prendre les armes à la classe ouvrière hongroise en 1956.

[...]

Notre époque a mis, depuis des décennies déjà, la révolution prolétarienne à l’ordre du jour. Comment cette révolution pourra éclore, se développer, vaincre ; à travers quelles escarmouches, quels flux et reflux, quelles victoires et défaites partielles se dégagera un mouvement d’ensemble irrésistible, nul ne saurait le dire. Les lignes de forces de la révolution à venir partiront en dernier ressort de deux pôles fondamentalement opposés : l’impérialisme mondial et le prolétariat international, mais elles imprimeront leurs marques dans une société où d’autres classes, couches, groupements sociaux vivent, combattent et défendent leurs intérêts divers. Pour vaincre, le prolétariat doit polariser autour de lui, autour de son action, autour de ses objectifs, de larges masses populaires.
L’expérience des révolutions passées, tant défaites que victorieuses, montre que le prolétariat n’est à même d’aborder sa tâche historique, c’est-à-dire mettre un terme à tout jamais à l’exploitation de l’homme par l’homme, que si son action propre se développe au sein d’une mobilisation populaire. Autrement dit, quand de larges couches populaires, se sentant dans une impasse, ne voient de solution à leurs problèmes que par un changement violent de l’ancien état de choses et quand pour obtenir ce changement, elles sont décidées à intervenir directement dans le cours des choses.
Pour qu’une mobilisation populaire s’effectue, il faut que les sentiments des diverses couches exploitées ou opprimées à tel titre ou à tel autre trouvent un dénominateur commun, et c’est ce sentiment de haine commun qui est le terrain sur lequel éclôt le mouvement populaire. Le mouvement populaire lui-même devient révolutionnaire à partir du moment où il se pose la question du pouvoir, à partir du moment où il songe à s’attaquer non seulement à l’ancien état de choses devenu insupportable, mais à l’État lui-même qui en est le garant et l’ultime rempart.
Cette prise de conscience à l’échelle de larges masses peut se faire en bien des étapes et suivront bien des rythmes. Outre l’élément subjectif constitué par le rôle et l’activité d’une organisation révolutionnaire, le rythme dépend, pour une large part, de la forme du pouvoir étatique lui-même. Plus le pouvoir est omniprésent et omnipotent, plus il intervient dans toutes les manifestations de la vie sociale, plus rapidement les masses en action apprennent que pour vaincre, il faut le détruire. Plus ce pouvoir est personnifié par un homme ou une équipe restreinte plus il sert de point de mire à la haine populaire.
La démocratie, malgré ses multiples inconvénients pour la bourgeoisie a, entre autre, ceci d’avantageux qu’elle dilue devant les masses la réalité du pouvoir, qu’elle cache le mécanisme de répression derrière le chassé-croisé des gouvernements qui passent et se succèdent. La dictature ouverte et déclarée, l’autocratie, le bonapartisme donnent au pouvoir une apparence concrète, en chair et en os, à la portée de l’expérience quotidienne des masses. Ce furent de profondes raisons historiques, tel le développement combiné de la Russie qui en 1917 firent coïncider le mouvement paysan avec l’insurrection prolétarienne, mais c’est en criant : « A bas le tsar » que, concrètement, le soldat-paysan et l’ouvrier se rencontrèrent en février. La haine de l’autocratie fut un puissant levier révolutionnaire autour duquel se fit la mobilisation des masses, précisément parce qu’elle était le dénominateur commun des sentiments des classes opprimés.
Le sentiment national est de son côté un des plus puissants « sentiments unificateurs » autour duquel, même à notre époque, de larges couches populaires se retrouvent et pour lequel elles sont prêtes à se battre. Dans le dernier numéro de la Lutte de Classe nous avions abordé son rôle et sa signification dans les pays sous-développés, où il plonge ses racines dans l’oppression nationale qui pèse sur la quasi-totalité de la population. Dans ces pays, le caractère ouvertement dictatorial du pouvoir se combine avec le fait qu’il est exercé par la nation oppresseuse ou à son bénéfice ce qui est une combinaison particulièrement explosive.
Pour les pays sous-développés le problème national et son reflet dans les sentiments des masses populaires se posent avec une telle acuité qu’une organisation révolutionnaire se condamnerait en en faisant abstraction.
Se pose-t-il aussi pour les pays impérialistes et si oui, dans quels termes ? Autrement dit, l’organisation révolutionnaire peut-elle se trouver en présence d’un profond sentiment national dans le peuple déclenché par une oppression nationale ou une crainte d’oppression nationale ?
Le problème ne se pose manifestement pas actuellement. Il y a 25 ans cependant la France était occupée et cette occupation a donné un regain au sentiment national dans le peuple, sentiment d’ailleurs considérablement amplifié par la propagande chauvine du Parti Communiste à partir de 1941. Si la résistance armée contre l’occupant resta infiniment plus limitée que ce que prétendent les staliniens, elle bénéficia incontestablement de la sympathie de larges couches. Le mouvement trotskyste dut alors déterminer son attitude face à la Résistance et dut prendre position face aux problèmes posés par l’occupation. Plus précisément il s’est posé la question de savoir si une mobilisation large contre l’occupant portait en elle une dynamique qui pouvait déboucher sur la révolution sociale.
Les problèmes posés par une occupation étrangère dans un pays impérialiste, la France en particulier, ne sont pas dépassés. La révolution prolétarienne surgira peut-être des vagues d’une troisième guerre mondiale, guerre dont les aléas pourraient entraîner des occupations diverses successives. 

[...]

Il est certain qu’une organisation révolutionnaire aurait eu à lutter contre l’armée d’occupation allemande, et ceci pour deux raisons. En premier lieu, parce que dans les conditions d’alors, lutter contre le pouvoir étatique était nécessairement lutter contre l’armée d’occupation qui en était le pilier principal. En second lieu, parce que toute organisation révolutionnaire avait pour mission de défendre l’URSS jusque et y compris par des moyens militaires : sabotages de l’appareil de guerre allemand, coups de main armé, etc. Ce faisant l’organisation révolutionnaire eut incontestablement bénéficié du sentiment national, et l’aurait dans une certaine mesure cristallisé autour de son action. Mais si dans ce sentiment il y avait, pour reprendre l’expression de Trotsky « des éléments qui reflétaient d’une part la haine contre la guerre destructrice et d’autre part l’attachement à ce qu’ils croient être leur biens », il était surtout l’expression de l’emprise de l’idéologie bourgeoise sur les masses. Et c’est précisément parce que son action fournit nécessairement un exutoire à ces sentiments nationaux que l’organisation révolutionnaire était tenue de définir clairement sa position face à la question nationale et de s’organiser sans équivoque.
Le premier problème théorique à cet égard et que le mouvement trotskyste d’alors s’est posé effectivement est de savoir si l’occupation étrangère fait resurgir, il est vrai dans des termes nouveaux, la question nationale. Une partie du mouvement trotskyste répondit positivement à cette question, en affirmant que la France était désormais passée au rang de nation vassale, semi-coloniale. Politiquement la bourgeoisie nationale ne se serait maintenue au pouvoir que comme commis de la bourgeoisie la plus puissante. A peu près - affirmait un bulletin de l’époque - comme les classes dirigeantes indigènes ont été maintenues au pouvoir par l’impérialisme dans certaines colonies. Les partisans de cette thèse affirmèrent, il est vrai, qu’à la différence des pays anciennement colonisés, la bourgeoisie était incapable de lutter pour l’indépendance nationale et que celle-ci ne pouvait être obtenue que par les masses, et elles seules, sans la bourgeoisie.
En réalité, les subtiles distinctions introduites dans la théorie entre ancienne et nouvelle question nationale n’étaient qu’arguties, eu égard à l’importance de la reconnaissance de la question nationale elle-même, et par conséquent, de la légitimité de la lutte pour l’indépendance nationale.
Or, c’est justement cette reconnaissance qui était fausse à la base. La base économique de la question nationale dans les pays sous-développés réside dans le fait que l’emprise impérialiste ne tient que parce qu’elle s’appuie sur les couches dominantes, sur les structures sociales les plus archaïques, empêche la libération et le développement du capitalisme dans le cadre national. La lutte de la bourgeoisie nationale est donc jusqu’à une certaine limite progressive et anti-impérialiste.
Tout au contraire, l’occupation de tel ou tel pays impérialiste par un autre exprime le fait que non seulement pour le capitalisme de ce pays la conquête du marché national est depuis longtemps réalisée, mais que, ce marché s’est révélé depuis longtemps trop étroit, et c’est précisément dans la lutte pour la conquête de marchés extérieurs que cet impérialisme s’est heurté à un rival qui s’est révélé plus fort, tout au moins pour une période. L’ « oppression nationale » que subit le pays impérialiste vaincu apparaît alors non comme une étape à dépasser dans le mouvement ascendant de la bourgeoisie nationale, mais comme une phase de la guerre que les puissances impérialistes se mènent les unes contre les autres, comme une péripétie dans la fluctuation des rapports de forces respectifs. Lutter pour l’Indépendance nationale » ou pour la « libération » voire « l’émancipation nationale » dans ces conditions, c’est prendre fait et cause pour son impérialisme.
Distinguer alors « l’ancienne question nationale » des pays colonisés de la « nouvelle question nationale » surgie à l’occasion de l’occupation d’un pays impérialiste par un autre en prétextant que dans le premier cas la bourgeoisie est encore capable de lutter pour l’indépendance nationale alors qu’elle ne l’est plus pour le second est un non-sens. Ce n’est pas le radicalisme plus ou moins grand de la bourgeoisie dans la lutte pour l’indépendance nationale qui décide de l’attitude des révolutionnaires par rapport à celle-ci. C’est au contraire parce que les marxistes reconnaissent la légitimité du combat pour l’indépendance nationale dans les pays sous-développés qu’ils soutiennent la lutte pour celle-ci, même si elle se mène sous une direction bourgeoise. Et c’est parce que la lutte pour l’indépendance nationale couvre la politique d’un impérialisme momentanément vaincu dans la guerre pour le partage du marché mondial que les marxistes s’y opposent violemment.
L’occupation de la France par l’Allemagne n’a pas réduit la première à l’état d’une semi-colonie, pour la bonne raison qu’elle n’a pas pu et elle n’aurait pas pu effacer par la seule force l’ouvre historique du capitalisme et les rapports inter-capitalistes. Même occupée, la France est restée un pays impérialiste possédant un vaste empire colonial. Et sa victoire ou plus exactement celle de ses alliés, n’a pas signifié la reconquête de l’indépendance nationale mais essentiellement la reconsolidation de son emprise sur ses colonies, et aussi le découpage de l’Allemagne qui, apparaît maintenant à son tour comme un pays occupé.
Cela dit il est évident que pour refuser le leurre de la lutte pour l’indépendance nationale, les révolutionnaires n’en légitiment pas plus l’occupation. De même que les bolcheviks et par la suite l’Internationale Communiste, tout en ayant refusé toute « défense de la patrie » en Allemagne, n’en ont pas plus légitimé le traité de Versailles qui concluait la défaite allemande ; au contraire, ils ont lutté résolument contre ce nouveau partage de l’Europe et du monde.
Mais la lutte contre le Traité de Versailles ne pouvait pas se mener de la même façon en France, pays qui en fut le principal bénéficiaire, et en Allemagne, pays qui en fut la victime.
Lutter en France contre le dépeçage de l’Allemagne, contre l’occupation de la rive gauche du Rhin ou de la Rhur, contre les dures conditions imposées aux vaincus avait une profonde signification anti-impérialiste. Cette lutte ne pouvait pas ne pas opposer le prolétariat contre sa bourgeoisie enrichie par les rapines consacrées par ce traité. En Allemagne par contre, le Parti Communiste ne pouvait soulever cette question sans d’infinies précautions, tant la revendication « A bas la paix de Versailles » pouvait ressouder l’unité nationale derrière l’impérialisme allemand, qui lancera sur l’Europe ses armées précisément pour effacer ce traité.
C’est justement ici la clé de la question. Toute une fraction du personnel politique de la bourgeoisie française a opté après la défaite pour les Alliés. Bénéficiant de l’appui inestimable des staliniens, ils ont canalisé, tout en le renforçant jusqu’au chauvinisme, le sentiment national des masses populaires, pour mobiliser ces masses autour de ce sentiment.
La Résistance fut l’expression concrète de la mainmise politique et organisationnelle de la bourgeoisie sur les masses populaires, entraînées une fois de plus dans le sillage de « leur » impérialisme. Si le sentiment d’oppression nationale était un facteur de mobilisation pour les masses, si pour avoir été exercé par une armée étrangère le pouvoir étatique s’est montré dans toute sa nudité, si en ce sens la lutte révolutionnaire pouvait s’en trouver facilitée, ce sentiment national s’est révélé finalement comme une puissante chaîne par laquelle les staliniens ont lié le sort des masses à celui de leur impérialisme.
Et c’est justement pourquoi, c’est justement pour ne pas ajouter de son côté quelques chaînons supplémentaires que l’organisation révolutionnaire devait faire en sorte que sa lutte contre l’appareil militaire allemand ne puisse créer aucune confusion, dont la bourgeoisie eût pu profiter, dans l’esprit des masses.
Même pendant la guerre, le prolétariat avait sa guerre à mener, qui n’avait rien de commun avec celle de son impérialisme. Mais une politique indépendante nécessitait une organisation indépendante, une organisation de classe. Le prolétariat révolutionnaire se devait de refuser toute organisation commune avec la bourgeoisie ou ses représentants politiques. C’est pourquoi, aucun révolutionnaire n’avait sa place dans le mouvement de la Résistance, au contraire, il devait lutter pour la constitution d’organisations prolétariennes de lutte indépendantes.
La grande majorité du mouvement trotskyste en France justifiait la participation au mouvement national en pensant que de celui-ci sortirait le mouvement de classe. Le mouvement révolutionnaire pouvait en effet surgir de la mêlée impérialiste mais à la condition seulement que le prolétariat sache garder sa politique indépendante, son organisation indépendante. Ceci était impossible à l’époque sans une lutte constante contre l’esprit de la Résistance qui signifiait pour le prolétariat précisément l’abandon de son indépendance tant politique qu’organisationnelle. Au lieu d’être le terrain d’éclosion d’un processus révolutionnaire, la Résistance en fut le principal obstacle.
Tout en luttant contre l’appareil militaire allemand, l’organisation révolutionnaire se devait d’autre part de faire un travail intense parmi les soldats de l’armée d’occupation, favoriser les fraternisations, etc... Elle devait refuser tout appel à la « lutte contre l’envahisseur » au nom de l’« indépendance nationale ». Le motif de l’action de l’organisation révolutionnaire contre l’appareil militaire allemand n’était pas « l’indépendance nationale », mais l’intérêt du prolétariat international dans son ensemble, qui exigeait la défense de l’URSS. Le fait d’agir au nom et dans l’intérêt du prolétariat dans son ensemble impliquait des conséquences jusques et y compris dans la forme de l’action militaire (refus d’attentats contre des soldats isolés ou de sabotage de trains de permissionnaires, etc.). Tout en luttant contre l’appareil militaire allemand, il fallait viser à gagner le soldat allemand et non à le tuer.
De toute manière cette action militaire ne devrait pas être l’activité unique de l’organisation révolutionnaire ni même la principale. La péripétie des armes a fait de l’armée allemande pour une période le principal garant des rapports de production capitaliste en France, et c’est pourquoi, entre autre, l’organisation révolutionnaire se devait de lutter contre elle. Mais les rapports capitalistes en eux-mêmes étaient on ne peut plus français. Si les réquisitions, le service du travail obligatoire étaient les faits de l’occupant, les bas salaires, le chômage étaient le fait du capitalisme français.
La lutte militaire contre l’appareil de guerre allemand n’avait de valeur que si elle accompagnait une lutte active, de tous les jours contre la bourgeoisie française fût-elle pro-alliés. Aucune occupation, aussi durable fût-elle, ne modifie en rien cette constante de la politique bolchevik : l’ennemi principal est dans notre pays. La tâche fondamentale de l’organisation révolutionnaire est de mobiliser le prolétariat contre son propre impérialisme.
C’est pourquoi on ne peut pas engager une lutte militaire contre un occupant étranger, sans lutter en même temps pour l’indépendance politique et organisationnelle du prolétariat. Il n’y a pas d’internationalisme hors de cette voie. Toutes les organisations trotskystes étaient pendant la guerre pour la « fraternisation » et certaines ont milité activement et efficacement pour. Mais une telle politique perd toute signification révolutionnaire internationaliste si en même temps on s’intègre à la « Résistance » (et à plus forte raison si l’on se déclare fier d’être parmi les premiers résistants), car s’intégrer à la Résistance c’est se subordonner et aider à subordonner les ouvriers à la bourgeoisie qui elle, est chauvine.
Même en période de guerre, nous considérons que le prolétariat malgré les multiples changements qu’il subit dans ses parties nationales au gré des fluctuations militaires, est un tout. L’avenir de la société humaine dépend de sa force et de sa conscience. L’organisation révolutionnaire se doit de défendre cette conscience prolétarienne des influences idéologiques de la classe ennemie donc principalement du chauvinisme.

[Lutte de classe (Voix Ouvrière), janvier et février 1968]



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