lundi 24 septembre 2012

:: Le PCF : de la révolution à la social-démocratisation [LO, 1976]

Le courant stalinien a constitué pendant longtemps, et constitue encore dans une certaine mesure, un phénomène politique original dans le mouvement ouvrier. Non révolutionnaire depuis un demi-siècle, ouvertement réformiste dans ses perspectives depuis plus de quarante ans, il s’est maintenu comme un courant séparé du courant réformiste traditionnel. Tout à fait intégré dans la société bourgeoise là où il avait une existence réelle, devenu même un des principaux facteurs de stabilisation de la société bourgeoise, il n’est nulle part parvenu à l’intégration complète, c’est-à-dire à sa reconnaissance par la bourgeoisie comme un des éléments du système démocratique parlementaire bourgeois, comme c’est le cas par exemple du parti travailliste anglais, ou encore de la social-démocratie nordique. Son existence a profondément marqué et le mouvement ouvrier, et la vie politique tout court dans un certain nombre de pays, et plus particulièrement dans deux grands pays impérialistes d’Europe occidentale, l’Italie et la France.
Le cas de la France est significatif des puissantes forces sociales qui agissent dans le sens de l’intégration d’un PC, et en même temps des raisons qui font qu’il reste dans une position marginale dans le système parlementaire bourgeois.
Cette originalité est, pour une part, liée précisément aux origines de cette variante du réformisme qu’est le stalinisme et aux circonstances de son apparition.
La Révolution Russe avait arraché à l’influence des directions réformistes une fraction importance du mouvement ouvrier français organisé. Le choix en faveur de la perspective révolutionnaire, de la Révolution russe, et de l’Internationale Communiste, constituait à l’époque un seul et même choix.
Avant que ce choix programmatique puisse se traduire par la sélection et la formation de cadres et d’une direction véritablement communistes, d’une trempe véritablement révolutionnaire, capables de mener une politique révolutionnaire de leur propre chef, la bureaucratisation de l’État soviétique avait transformé l’Internationale Communiste elle-même en un appareil au service exclusif de la bureaucratie soviétique.
Les subsides dispensés par la bureaucratie soviétique étaient devenus un puisant facteur de corruption de la direction du mouvement ouvrier. La bureaucratie soviétique, parce qu’elle usurpait l’héritage de la révolution, avait en même temps l’extraordinaire possibilité de donner, aux yeux des masses ouvrières, un certificat de communisme aux directions opportunistes qu’elle avait sélectionnées pour défendre ses intérêts.
La bureaucratie, en dressant le PCF à l’opportunisme envers elle-même, ouvrait cependant par là-même, la possibilité qu’il le devienne pour le compte de la bourgeoisie française. Quand on n’est pas révolutionnaire, on est nécessairement réformiste. Et le réformisme, même pratiqué dans un premier temps sur les ordres de la bureaucratie soviétique, conduit inévitablement vers la réconciliation avec la bourgeoisie. Le réformisme ouvert de la social-démocratie traditionnelle avait en son temps exprimé son intégration dans la société bourgeoise. Dans le cas du PCF, il l’a précédée. Réformiste, nationaliste sur ordre de la bureaucratie à partir de 1934, le PCF connut sur cette base une croissance rapide. Il s’est installé dans l’aristocratie ouvrière, dans la petite-bourgeoisie, il a acquis des postes au parlement, dans les municipalités, et, directement ou par l’intermédiaire des organisations syndicales sous son contrôle, il a occupé une multitude de postes à différents niveaux de l’appareil d’État et dans des organismes de collaboration de classe.
Mais la pénétration du PCF dans l’appareil d’État bourgeois était, en même temps, la pénétration de l’appareil d’État bourgeois dans le PCF Les milliers de gestionnaires « communistes » de l’État bourgeois ne changeaient pas la nature de cet État. Mais ces milliers de serviteurs de l’État et de l’ordre bourgeois dans l’appareil du Parti, renforçaient la dépendance de celui-ci envers la bourgeoisie.
Dès lors, le PCF ne puisait plus dans les seuls subsides du Kremlin, il puisait de plus en plus dans la mangeoire traditionnelle de la social-démocratie, mangeoire alimentée par les surprofits de l’impérialisme national.
En ce qui concerne le fond, ses rapports avec l’ordre bourgeois, la social-démocratisation du PCF et un fait acquis depuis, disons, 1936.
Depuis cette date, en tous les cas - grâce au rôle du PCF dans le Front Populaire et pendant les grandes grèves - la bourgeoisie avait expérimenté le PCF comme élément de stabilisation direct de l’ordre bourgeois. En réalité, il constituait un tel facteur de stabilisation à partir du moment où il ne menait plus une politique révolutionnaire. Mais il ne l’était pas alors de la même manière, pas d’une façon aussi directement dépendante de la bourgeoisie.
Dans son rôle fondamental de stabilisation de l’ordre bourgeois contre l’éventualité d’une révolution prolétarienne, le réformisme stalinien avait rejoint le réformisme social-démocrate. Mais - et c’est là son drame - dans des conditions historiques différentes qui laissent infiniment moins de place au réformisme qu’à la belle époque du réformisme social-démocrate.
L’offre de servir la bourgeoisie au niveau gouvernemental, renouvelée de façon spectaculaire à l’occasion du XXIIe Congrès, le PCF l’a faite depuis des décennies. La bourgeoisie française avait répondu favorablement de 1944 à 1947. Elle sait qu’elle peut le faire de nouveau, dans des circonstances exceptionnelles où la participation gouvernementale du PCF est indispensable. Elle l’a fait en 1944 par prudence, et pour mobiliser toute l’énergie de la classe ouvrière au service de la reconstruction de l’économie capitaliste. Elle le ferait peut-être de nouveau demain, si la crise économique repose le même problème, ou pour tenter d’endiguer une montée révolutionnaire. Mais là n’est pas le problème du PCF Ce qu’il revendique, c’est pouvoir devenir un parti de gouvernement comme les autres, le pendant de gauche des partis de droite, participant à l’alternance gouvernementale, dans le cadre de ce mouvement perpétuel entre une majorité et une opposition parlementaires qui constitue la règle du jeu formel de la démocratie bourgeoise.
Et c’est précisément cela que la bourgeoisie ne veut pas, c’est à cette offre qu’elle ne peut pas répondre favorablement.
Certes, cette réticence de la bourgeoisie est liée en partie à la dépendance trop longtemps maintenue du PCF à l’égard de la bureaucratie soviétique. Mais pas seulement et aujourd’hui, pas principalement. Le maintien de cette dépendance du PCF à l’égard de la bureaucratie pendant si longtemps n’était pas une donnée en elle-même. Au-delà de l’aspect humain - la vieille garde thorézienne était d’une fidélité exceptionnelle à l’égard de Moscou - la persistance des liens de fidélité à l’égard de la bureaucratie russe était le pendant du refus de la bourgeoisie d’intégrer le PCF La fidélité des hommes est d’un poids très relatif face aux pressions sociales. Elle n’aurait pas longtemps résisté à une mangeoire plus vaste et moins dangereuse.
Mais le problème dépasse le seul PCF Il concerne l’ensemble de la direction réformiste du mouvement ouvrier, sa place dans le système parlementaire bourgeois.
Fait significatif : si le PCF est écarté de toute responsabilité gouvernementale depuis trente ans, la bourgeoisie ne considère pas le Parti Socialiste français - gardons cette désignation malgré les changements de nom - exactement de la même manière, dans les responsabilités qu’elle peut lui confier, que les partis de droite.
Depuis l’époque du Front Populaire, où Léon Blum avait été président du Conseil pendant treize mois, le Parti Socialiste n’a occupé la direction du gouvernement que pendant de brèves périodes, seize mois dans l’immédiat après-guerre avec les ministères Blum, Gouin et Ramadier, et seize mois avec Guy Mollet en 1956. Chaque fois, pour mener la politique de la droite. Et chaque fois en payant cher sa participation gouvernementale aussi bien dans son implantation électorale que dans son audience politique et syndicale.

Partis du mouvement ouvrier et démocratie bourgeoise

La démocratie parlementaire n’est pas bourgeoise seulement en cela qu’elle se place fondamentalement sur le terrain de la défense de la propriété privée. Elle l’est aussi parce que, même dans les périodes où la démocratie est la moins mutilée, son « démocratisme » est purement formel pour toutes les autres classes de la société que la bourgeoisie.
Le parlement est « l’expression de la volonté populaire ». Le gouvernement est l’émanation du parlement. Et pourtant, même dans la plus démocratique des démocraties, le gouvernement est le « conseil d’administration des affaires de la bourgeoisie ».
La bourgeoisie ne peut admettre de bon gré et de façon habituelle au gouvernement que des hommes politiques dont elle soit rigoureusement sûre. Elle veut être certaine que leurs décisions ne seront motivées par aucune autre préoccupation que les intérêts de la bourgeoisie. Au temps de la démocratie censitaire - la démocratie bourgeoise qui osait dire son nom - il n’y avait pas de problèmes. On était entre soi. C’est bien pourquoi la bourgeoisie avait craint le suffrage universel. Il lui a été imposé contre son gré.
Mais les réticences de la bourgeoisie devant le suffrage universel se sont révélées dépourvues de raisons. Elle est parvenue à intégrer non seulement la petite bourgeoisie, mais également une large partie du prolétariat dans le cadre de la démocratie formelle. Autrement dit, elle est parvenue à la fois à se servir du système parlementaire comme d’un système de domination entièrement à ses ordres, et en même temps, à faire croire aux autres classes de la société que cette démocratie était la leur.
Historiquement, la démocratie parlementaire bourgeoise n’a pu naître dans les pays où existait un mouvement ouvrier organisé que parce que la bourgeoisie est parvenue à corrompre la direction du mouvement ouvrier, à intégrer ses organisations politiques ou syndicales dans le système. Et elle a pu le faire, dans une période privilégiée de son histoire, lorsque l’impérialisme triomphant drainait vers les métropoles, grâce à l’exploitation des colonies, de quoi élever le niveau de vie de certaines couches du prolétariat, de quoi payer une aristocratie ouvrière et entretenir par là une vaste bureaucratie ouvrière.
Le réformisme, « en tant que système d’illusions des masses et en tant que système de tromperies de la part de la bureaucratie ouvrière » (Trotsky) , n’était possible que parce qu’une fraction relativement large de la classe ouvrière pouvait espérer l’amélioration de son sort à l’intérieur du capitalisme.
L’existence de puissants partis réformistes est devenue un élément fondamental de la démocratie bourgeoise. La bourgeoisie préférait en tout état de cause gouverner par l’intermédiaire d’un personnel politique non lié au mouvement ouvrier. C’est ce qu’elle fit en général dans tous les impérialismes « démocratiques ». Mai le risque de voir des dirigeants du mouvement ouvrier parvenir au gouvernement grâce au suffrage universel, avait perdu son caractère menaçant.
Pour les dirigeants des partis réformistes, il était possible de maintenir leur audience sur la classe ouvrière - cette audience qui constituait leur atout dans la vie politique - et en même temps tenter de pousser jusqu’au bout le jeu parlementaire, jusques et y compris la participation à un gouvernement bourgeois.
La bourgeoisie de son côté avait la possibilité de vérifier, sur une longue période et sans grands risques, que l’intégration au gouvernement de ministres issus du mouvement ouvrier était sans danger.
C’est grâce à une longue période de prospérité économique et, liée à elle, à la profondeur et à la permanence de sentiments réformistes au sein de larges parties de la classe ouvrière, qu’a pu émerger cette race particulière de politiciens qui caractérisent essentiellement l’Angleterre et certains pays nordiques, parfaitement admis par la bourgeoisie et en même temps liés au mouvement ouvrier.

Réformisme du capitalisme en déclin

Le PCF et le PS pourraient-ils résoudre la même quadrature du cercle aujourd’hui ? Ce n’est pas seulement une question de volonté politique. C’est aussi une question de possibilité objective.
La base sociale objective du réformisme s’est brusquement effondrée dans la quasi totalité des pays capitalistes entre les deux guerres. La succession de crises a ruiné les illusions en la possibilité de la société capitaliste de s’améliorer progressivement. Le parlementarisme bourgeois n’a survécu pendant cette période, et encore de façon tronquée, que dans une poignée de pays impérialistes possesseurs d’empires coloniaux. Dans les pays impérialistes plus pauvres, la bourgeoisie a montré que le parlementarisme n’est qu’une de ses formes de domination et elle n’est nullement définitive. Elle a liquidé les partis réformistes et le système parlementaire avec. Elle a substitué à la tromperie envers la classe ouvrière la force brutale du fascisme ou de la dictature militaire.
Sur la base d’une nouvelle période de très relative prospérité, le parlementarisme bourgeois a connu, certes, un second souffle au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Il en fut ainsi en particulier en France.
Mais, réduite au rang d’impérialisme de seconde zone, engagée dans de longues guerres pour maintenir ses colonies, puis perdant son empire colonial, la bourgeoisie française n’avait plus la même capacité de se payer un réformisme de masse. Plus exactement, il lui reste encore de quoi entretenir les appareils et une bureaucratie par l’intermédiaire de postes étatiques ou para-étatiques ; par l’intermédiaire encore d’une législation sociale accordant un certain nombre de privilèges aux appareils syndicaux.
Mais la bourgeoisie française n’a plus de quoi payer l’assise large sur laquelle poussait naguère la bureaucratie réformiste.
Et c’est là le problème pour le PCF et même pour le PS Comment parvenir à tromper les masses, à leur rendre désirable une société bourgeoise qui, de toute évidence, ne l’est pas, sans en avoir les moyens ?
Même en étant dans l’opposition, la jonglerie est difficile. Au gouvernement, elle est impossible. Il faut choisir entre l’image qu’on offre à la classe ouvrière et le service loyal de la bourgeoisie.

Garder l’audience dans la classe ouvrière ou être au gouvernement ?

Qu’ils soient issus du mouvement ouvrier ou pas, la bourgeoisie exige de ses hommes politiques la même loyauté. Mais c’est précisément là qu’elle sait faire la part des choses entre son personnel politique habituel, et ceux liés au mouvement ouvrier à un degré ou à un autre.
Ce n’est pas une question de programme politique : le PC comme le PS sont de par leur politique, parfaitement bourgeois.
Ce n’est pas non plus une question d’hommes. La bourgeoisie sait qu’elle peut parfaitement compter sur les dirigeants du PS (Pas seulement sur ceux qui ont été parachutés au PS de l’extérieur comme Mitterrand, elle savait aussi pouvoir compter sur les Guy Mollet). Elle ne doit pas avoir sur ce plan-là des doutes sur les dirigeants du PCF.
Mais un Marchais, ce n’est pas seulement l’individu, c’est aussi le parti. Plus exactement, Marchais n’existe politiquement que par l’intermédiaire de son parti. Et son parti existe parce qu’il maintient de multiples liens avec la classe ouvrière, directement, par ses militants présents dans les entreprises, par l’intermédiaire des syndicats qu’il contrôle, par l’image de parti ouvrier qu’il donne de lui-même dans l’électorat, y compris dans l’électorat non ouvrier.
L’image « communiste » que le PCF donnait de lui-même a, certes, subi l’usure du temps. Il n’y a sans doute qu’une petite minorité de travailleurs qui voient encore en lui le parti de la révolution socialiste. Et le PCF multiplie les efforts pour les détromper de cela, comme il l’a fait durant le XXIIe Congrès.
Mais le PCF apparaît quand même comme le parti du changement, comme un parti anti-bourgeois. Au-delà de ce que dit ou fait le PCF, c’est un fait social. C’est un fait social lié à son passé lié à sa présence au sein de la classe ouvrière, lié au fait que bien des luttes de la classe ouvrière passent par son intermédiaire.
Le poids politique du PCF est lié précisément à cette image de lui-même au sein de la classe ouvrière. Et il le sait. Comme il sait que pour maintenir son audience, il lui faut maintenir cette image. Et la bourgeoisie a eu l’occasion d’expérimenter un certain nombre de fois que le PCF se sent contraint de se radicaliser dès qu’il a l’impression qu’il risque de perdre de l’audience dans la classe ouvrière.
C’est le reproche majeur que la bourgeoisie adresse au PCF, même en tant que parti d’opposition. Car chaque « radicalisation » du PCF est une menace pour la bourgeoisie. Oh, non pas pour sa domination, pour son ordre social. Simplement pour son porte-monnaie. Mais c’est déjà trop. Justement parce que la bourgeoisie ne peut plus, ne veut plus satisfaire même ce peu qui permettrait au PCF de maintenir son audience, en montrant devant les travailleurs son efficacité.
Il y a certes loin du PCF au PS sur ce plan. Les liens du PS avec la classe ouvrière sont plus lâches.
Mais il doit pourtant au moins en partie son rôle politique au fait qu’il bénéficie du soutien électoral d’une fraction de la classe ouvrière, à ses liens avec une fraction du mouvement syndicaliste. Son assise est dans l’aristocratie des techniciens, parmi les salariés non ouvriers de l’enseignement, de la fonction publique. Mais l’image stalinienne que donne le PCF de lui-même donne au Parti Socialiste une certaine audience même dans d’autres couches, parmi les militants que cette image stalinienne rebute.
Le PS n’est pas le PCF Mais il n’échappe pas tout à fait au problème de celui-ci : il est admis dans le jeu du parlementarisme bourgeois au moins en partie au titre de son audience parmi les travailleurs. Il reflète, fût-ce de façon très atténuée, les préoccupations, les aspirations de cette base.
Et c’est bien là le problème de la bourgeoisie, et pour le PCF et, à un moindre degré, pour le PS
Le personnel politique traditionnel de là bourgeoisie est insensible aux pressions politiques venues d’ailleurs que de la bourgeoisie. Les partis entre lesquels ce personnel se divise ne sont d’ailleurs pas des partis au sens véritable du terme, mais des clubs électoraux, faits pour transmettre les consignes des états-majors politiques et pas l’inverse. La carrière politique d’un homme politique bourgeois est liée à la conformité de ses idées avec l’opinion publique bourgeoise. La carrière politique de dirigeants réformistes est liée aux illusions qu’ils sont capables de susciter au sein de la classe ouvrière sur leur rôle, sur leur capacité à changer les choses pour les travailleurs.
L’auréole d’illusions qui entoure les dirigeants réformistes n’a certes pas que des côtés négatifs pour la bourgeoisie. C’est leur capacité à tromper les travailleurs qui les rend aptes à faire admettre à la classe ouvrière une politique contraire à ses intérêts. Et dans des circonstances catastrophiques pour la bourgeoisie, le fait de disposer de tels partis est un atout.
C’est bien pourquoi il y a des circonstances où la bourgeoisie n’hésite pas à faire appel à eux. Mais il faut que le jeu en vaille la chandelle.
Pourquoi le ferait-elle en temps ordinaire ? Pourquoi laisserait-elle accéder au pouvoir gouvernemental, dans le cadre de l’alternance parlementaire normale, des partis auxquels les masses ouvrières sont susceptibles de demander qu’ils réalisent leurs promesses ? Cela risque de coûter cher.
La bourgeoisie ne peut pas, ne veut pas honorer les chèques tirés par les partis liés au mouvement ouvrier, en prévision de leur accession au pouvoir.
Pour ce qui est du PS, la bourgeoisie sait que les risques ne sont pas excessifs. D’abord parce que les illusions qu’il suscite sont moindres. Ensuite, parce qu’il a montré dans le passé qu’il sait être loyal envers la bourgeoisie, c’est-à-dire prendre sur lui-même de payer pour les illusions qu’il aurait volontairement ou involontairement suscitées.
En menant la politique anti-ouvrière que la bourgeoisie lui demande de mener. Quitte à se couper, de la manière la plus violente s’il le faut, de sa propre base ouvrière. Quitte à revendiquer le titre de « chien sanglant » de la réaction. La social-démocratie française n’a pas eu son Noske, mais elle a eu ses Jules Moch et ses Lacoste. Ils sont tous de la même étoffe.
Le PCF ne demande peut-être qu’à démontrer qu’il est capable d’en faire autant. (Pas sur le plan des hommes, il a ce qu’il faut, mais en montrant la même capacité à se couper de sa base). Mais la bourgeoisie n’a plus la possibilité de courir des risques en faisant des expériences. Avant d’avoir Jules Moch, la social-démocratie française avait eu Millerand et Renaudel. Et à presque cinquante ans d’intervalle.
Alors, la bourgeoisie tolère le PCF dans les entreprises, et même jusqu’à un certain point, dans la vie politique. Elle lui donne quelques privilèges. Mais elle ne veut pas de lui au gouvernement. Dans le cadre normal du jeu institutionnel, il aurait sa place en faisant la preuve qu’il est capable de sacrifier aux intérêts de la bourgeoisie toute son audience dans la classe ouvrière. Mais le démontrer, c’est perdre cette audience. Et à quoi servirait-il alors ? A rien, et ça ne l’intéresserait pas.
Sans perspective, le réformisme stalinien peut se maintenir jusqu’à ce que la classe ouvrière renverse la bourgeoisie, ou que la bourgeoisie décide de se passer des réformistes et du parlement. Le stalinisme ne se maintiendra que comme un réformisme du pauvre, le réformisme du capitalisme en déclin.


Lutte de Classe, Série 1972-1977 (bilingue), n°34 (février 1976)

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