mardi 23 août 2011

:: Congrès de Tours. Ou comment, à peine né, le Parti communiste allait devenir un parfait parti stalinien

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Lorsque le Congrès de la social-démocratie française se tint à Tours du 25 au 30 décembre 1920, c’était dans un climat d’enthousiasme pour la Révolution d’Octobre et pour les militants bolcheviks qui l’avaient dirigée. La majorité des fédérations ouvrières, en particulier celles du Nord, se prononçait résolument pour l’adhésion à la IIIe Internationale, l’Internationale Communiste, dont les bases venaient d’être jetés à Moscou, et, à la fin du Congrès, le Parti communiste avait gagné 89 fédérations sur les 96 que comptait le Parti Socialiste. 

L’aile droite, représentée par Renaudel et Blum, les centristes autour de Longuet et de Pressemane, consommèrent la scission en rejetant l’adhésion à l’IC. Les 21 conditions imposées pour cette adhésion en août 1920 les éliminaient d’ailleurs pratiquement. Cette rupture, voulue et expliquée par Lénine, devait permettre au jeune Parti de rendre son action plus efficace grâce à la netteté de son programme, « opération salutaire, disait à l’époque Souvarine, propre à rendre force et vie au corps gangrené du Parti ». 

Le parti qui se fondait, Section Française de l’Internationale Communiste, rompait ainsi radicalement avec le courant réformiste et chauvin. Il adoptait le programme révolutionnaire du Komintern, et les principes bolcheviks en matière d’organisation. 

Le Congrès fut tumultueux et passionné, la majorité vibrante d’enthousiasme. On parlait des « russes » avec respect. Lorsque arrivèrent le télégramme de l’exécutif de l’Internationale, puis Clara Zetkin en personne, l’enthousiasme ne connut plus de bornes. L’aube de la révolution prolétarienne en France paraissait proche, et beaucoup en attendant voulaient aider les Russes dans leur lutte contre la coalition des impérialistes. Les orateurs de la majorité s’élevaient violemment contre la conception réformiste du passage « pacifique » au socialisme, soulignant l’aspect violent de la prise du pouvoir en Russie et, lorsque Blum utilisa les vieux arguments des opportunistes à propos de la défense nationale, on l’interrompit en criant « A bas la guerre » et en entonnant l’internationale. 

C’est le « Comité pour l’adhésion à la IIIe internationale », fondé en mai 1919 et son Bulletin communiste datant de mars 1920, qui fournit les meilleurs militants : des syndicalistes révolutionnaires comme Monatte et Rosmer, anciens zimmerwaldiens, des hommes comme Amédée Dunois, Souvarine, qui devint par la suite un des dirigeants du parti, pour être finalement exclu en 1924-25. 

Dans ces conditions la comparaison entre les Thorez, Duclos, Garaudy, et les Rosmer, les Souvarine de 1920 ne peut que laisser perplexe si l’on ne tient pas compte des caractéristiques spécifiques de la tradition sociale-démocrate en France et de la manière dont ils avaient imprégné tout le mouvement ouvrier jusque dans ses racines. Le parti français, composé pour sa plus grande partie de militants de cette social-démocratie, s’il avait verbalement rompu avec le réformisme et le chauvinisme, n’en resta pas moins profondément marqué par cette tradition qui constituait l’héritage d’idéologie démocratique et de moeurs parlementaires. Déjà Lénine avertissait les militants français : « la transformation d’un parti du type parlementaire, disait-il , réformiste dans ses actes, et légèrement coloré d’une teinte révolutionnaire, en parti réellement communiste, est une chose extrêmement difficile. L’exemple de la France montre cette difficulté de la façon, peut-être, la plus évidente » . 

L’histoire du Parti français dans les années qui ont suivi le Congrès de Tours est celle des rechutes et des flottement dans l’opportunisme et le pacifisme. 

Par une réaction, saine mais excessive, contre cet état de choses, les meilleurs éléments du parti, en particulier d’ailleurs les jeunesses, adoptaient souvent une attitude gauchiste qui s’est caractérisée essentiellement par un mépris pour les « dissidents » tel que la plupart étaient farouchement hostiles à l’idée du Front unique avec la social-démocratie et avec la CGT réformiste, Front unique préconisée par le Komintern. On craignait de revenir à la situation d’avant Tours et on méprisait la lutte pour les revendications immédiates. 

Dès le congrès de Marseille, en décembre 1921, la crise s’amorça au sein du parti. Dans un discours prononcé le 2 mars 1922, à la séance du Comité exécutif élargi de l’IC, Trotsky caractérisait ainsi la situation du parti français : « la scission de Tours fixa la ligne de partage fondamentale entre le réformisme et le communisme. Mais c’est un fait absolument indiscutable que le Parti communiste qui a surgi de cette scission a conservé, dans certaines de ses parties, la survivance du Parti réformiste et parlementaire, dont il peut se débarrasser et dont il se débarrassera par des efforts intérieurs en prenant part à la lutte de masse » . 

« Ces survivances du passé, dans certains groupes du parti, se manifestent : 
1 - Par une tendance à rétablir l’unité avec les réformistes. 
2 - Par la tendance à former un bloc avec l’aile radicale de la bourgeoisie. 
3 - Par la substitution du pacifisme humanitaire petits bourgeois à l’antimilitarisme révolutionnaire. 
4 - Par la fausse interprétation des rapports entre le parti et les syndicats. 
5 - Par la lutte contre une direction du parti est vraiment centralisée. 
6 - Par les efforts pour substituer une fédération platonique de partis nationaux à la discipline internationale d’action ». 

[...] de la Seine restait organisée sur une base fédérative et, pourtant, par la voix de Rappoport, le parti tendait à minimiser les divergences. Pendant ce temps une nouvelle tendance s’était fait jour, celle de l’opportunisme paysan représenté par Renaud Jean et Auclair dont les positions étaient proches de celle des socialistes révolutionnaires russes, tendance qui s’ajoutait à la tendance de droite d’Henri Fabre dont le Journal du Peuple était soutenu par Renoult et Frossard, les dirigeants du parti, et à celle d’extrême gauche de Victor Méric. 

Ainsi, dès son origine même, le PC s’est caractérisé par son manque d’homogénéité politique : droite réformiste et pacifiste, des tendances d’un gauchisme outrancier, un centre sans pensée politique nette, enfin une gauche révolutionnaire à peu près conséquente représentée par Souvarine, Rosmer, mais qui n’était qu’une minorité. 

À cette situation s’ajoutait une inculture marxiste généralisée, touchant même les cadres dirigeants. Cela en liaison étroite avec leur origine politique social-démocrate, en rien comparable à la formation sévère reçue par les bolcheviks. A la vérité, le parti manquait de cadres réellement éprouvés. Au début de 1921 Amédée Dunois demandait au Parti de lancer une campagne en vue d’un effort général pour la culture et le niveau intellectuel dans le parti. 

Il préconisait l’organisation de cercle d’études marxistes dans les sections. Il restait donc à faire un important travail d’éducation, de purification, de sélection : « pas d’opportunisme de droite, ni d’inopportunisme de gauche », selon le mot de Radek. 

Le Congrès de tours, s’il fut une grande date dans l’histoire du mouvement ouvrier français, ne s’annonçait pas cependant comme l’aube sans nuage de journées radieuses, mais au contraire comme chargé de difficultés, trop lourd de son passé. la volonté de devenir des révolutionnaires ne manquait pas, l’enthousiasme non plus, mais l’expérience était nulle et les bases de départ on ne peut plus faible. aussi le parti communiste, étroitement lié à l’internationale, vit son destin dépendre essentiellement de celui de l’ic et, par conséquent, de la révolution en urss. dès sa fondation, en 1920-22, la question de son évolution ultérieure se jouait en urss. sa base française étant ce qu’elle était, il n’était même pas question qu’il résistât à la dégénérescence bureaucratique aussi longtemps que le parti russe, le parti bolchevique. 

En URSS en effet, les vieux bolcheviks dirigeants du parti, en opposition avec le cours droitier suivi par la fraction stalinienne, s’il furent calomniés et si leur voix fut étouffée, ne furent pas exclus avant 1927. Connus des masses pour leur rôle pendant la Révolution, il eut été difficile à Staline de les exclure sans un long travail de préparation des esprits. Mais en France la situation n’avait rien de comparable et les meilleurs militants, ceux qui, malgré leurs attitudes souvent gauchistes, étaient restés foncièrement attachés à la cause du prolétariat, étaient restés d’une loyauté et d’une honnêteté scrupuleuse dans leurs rapports avec le parti et avec les masses qu’il influençait, tout ceux-là - les Monatte, les Rosmer, les Dunois - furent éliminés, exclus ou contraints de démissionner dès 1924-1925. Les manoeuvres d’appareil prévalurent, en matière d’organisation, et ce furent les hommes de ces manoeuvres, habiles aux contorsions et souples aux redressements, qui prirent en main le Parti. Dès le Congrès de Paris, d’octobre 1922, les hommes d’appareil firent élire un nouveau comité directeur, remplacèrent à la direction du Bulletin communiste Souvarine par le journaliste radicalisant Paul-Louis et, usant de la méthode des calomnies et des insinuations personnelles, créèrent dans le parti une atmosphère empoisonnée qui n’allait pas tarder à le pourrir complètement. 

À peine né le Parti communiste allait devenir un parfait parti stalinien, et les révolutionnaires français durent encore une fois s’éparpiller en de petits groupes fermés, ou se résoudre à rejoindre les rangs de la social-démocratie en espérant y former une minorité révolutionnaire. Pratiquement en France, depuis Tours, un parti révolutionnaire reste à créer. Ce devait être l’oeuvre de la génération précédente, ce sera la nôtre. 

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