samedi 13 novembre 2010

:: 13 novembre 1945 : De Gaulle chef du gouvernement provisoire

LE RÉFÉRENDUM ET LES ÉLECTIONS D'OCTOBRE 1945 (Extrait de la brochure « Référendums, plébiscites, constitutions » suppl. à Lutte Ouvrière n°1679)

Le 21 octobre 1945, six mois après la fin de la guerre deux scrutins se déroulèrent conjointement. D'une part, un référendum où les électeurs devaient répondre à deux questions, et d'autre part l'élection de la première assemblée élue de l'après-guerre pour laquelle, pour la première fois, les femmes se voyaient reconnaître le droit de vote dans un scrutin national.

A la première question de ce référendum : «L'Assemblée élue doit-elle être constituante ?» 96 % des participants répondirent affirmativement. C'est que de Gaulle, comme le MRP (le grand parti de droite de l'époque), la SFIO («Section Française de l'Internationale Ouvrière», comme se nommait encore le Parti Socialiste) et le PCF, s'étaient prononcés dans ce sens, et qu'il n'y avait guère eu que le Parti Radical (un parti de gouvernement de l'avant-guerre, auquel appartenait Daladier qui avait dissout le PCF en 1939), pour préconiser un «Non» qui aurait signifié le retour pur et simple à la Constitution de la troisième République.

La seconde question du référendum portait sur l'étendue des pouvoirs de cette assemblée. De Gaulle, chef du gouvernement (appuyé sur ce point par la SFIO et le MRP), voulait qu'elle ne soit élue que pour sept mois et qu'elle élabore un projet de constitution qui serait soumis à référendum, alors que le PCF, partisan d'une constituante «souveraine», appelait à voter «Non» à cette deuxième question. Mais le «Oui» l'emporta avec plus de 66 % des voix.

Dans l'Assemblée élue parallèlement à ce référendum, le PCF obtenait 160 sièges (avec plus de 26 % des voix) et le PS 142 (avec près de 24 % des voix). Les deux partis se réclamant de la classe ouvrière, qui totalisaient à eux deux 302 sièges sur 583, disposaient donc ensemble d'une large majorité absolue.

Disons en passant que ni le PCF ni le PS n'envisagèrent un seul instant de mettre à profit cette situation exceptionnelle pour faire de la défense des intérêts des classes laborieuses l'axe de leur politique. Ils mirent au contraire toutes leurs forces dans la balance pour convaincre les travailleurs de la nécessité de consentir de nouveaux sacrifices pour reconstruire le pays dans l'intérêt des gros capitalistes, puisqu'il n'était pas question de toucher à ceux-ci. C'était le temps du «Produire d'abord...», de «la grève arme des trusts» où, sous prétexte de reconstruire le pays, le Parti Communiste et le Parti Socialiste s'employaient à permettre à la bourgeoisie française de reconstruire aux moindres frais son appareil de production. Et au lendemain de ces élections d'octobre 1945, le 13 novembre, la nouvelle assemblée reconduisit à l'unanimité de Gaulle dans sa fonction de chef du gouvernement provisoire.
L'entrée du Parti Communiste dans le gouvernement De Gaulle est inscrite dans la situation. Ci-dessous ce qu'écrit à ce sujet « La Lutte de Classes », organe de l'Union Communiste (IVème Internationale).
 
QUE FERONT-ILS AU GOUVERNEMENT ? (article de « La Lutte de Classes » du 14.11.1945)

Après avoir délibéré pour établir un programme gouvernemental, les partis de « gauche » viennent de « s'apercevoir » que celui-ci n'a aucune utilité, étant donné qu'à la suite du référendum, c'est le chef du gouvernement qui doit choisir ses ministres et établir son programme.

Duclos vient de déclarer : « Nous sommes dans une situation telle que le futur chef du gouvernement, s'appuyant sur la loi, peut déclarer : »Je ne parlerai de programme que lorsque j'aurai été élu !« Alors, à quoi bon gagner du temps pour préparer un programme, puisque personne n'est prêt à le recevoir... ? »

Dans un discours à Ivry, le 10 novembre, Thorez complète ces paroles : « Nous regrettons vivement le temps perdu depuis le 21 octobre. Nous regrettons que... le chef du gouvernement d'hier, qui sera, selon toute vraisemblance, le chef du gouvernement de demain, et qui, au surplus, cumule les fonctions de président du gouvernement et de chef de l'Etat, n'ait pas cru devoir engager des conversations avec les représentants qualifiés des grands partis. »

Ainsi, les chefs du P.C.F., en « bons républicains », non seulement s'inclinent devant le « Oui-Oui » du référendum, qui, d'après eux-mêmes, était « une manœuvre de la réaction et des trusts contre le peuple », mais encore ils mendient à De Gaulle, représentant bonapartiste des 200 familles, des « conversations ».

Malgré le résultat du référendum, les chefs du P.C.F. ont crié « victoire » après les élections, en raison du nombre de leurs députés. Mais, en réalité, le fait NOUVEAU révélé par les élections a été non pas le succès communiste, mais l'apparition d'un grand parti de droite, le M.R.P. En même temps que les ouvriers se montrent de plus en plus décidés à opposer leurs propres partis et leurs propres solutions à la bourgeoisie, la réaction bourgeoise s'est également renforcée, et ce renforcement des tendances extrêmes – prolétarienne et réactionnaire – ne peut que hâter le conflit entre les deux camps. C'est pour retarder à tout prix ce dénouement que les bureaucrates ouvriers se réfugient derrière l'arbitrage de De Gaulle : c'est ce qui explique que les « Oui-Non », aussi bien que les « Oui-Oui », jugent à l'heure actuelle De Gaulle, représentant bonapartiste de la bourgeoisie, comme indispensable, et c'est ce qui permet à De Gaulle de se donner ses allures « désintéressées », sachant d'avance que les Partis lui accorderont le pouvoir arbitraire qu'il a déjà exercé jusqu'à maintenant.

Devant ce fait, toutes les déclarations du P.C.F. sur la nécessité d'un « gouvernement démocratique à majorité socialiste et communiste », sur « l'application du programme du C.N.R. », ne sont que de la poudre aux yeux.

La bourgeoisie ne craint nullement l'action parlementaire et même gouvernementale des Partis se réclamant de la classe ouvrière. La preuve en est l'attitude de la bourgeoisie que Le Monde (10-11) exprime ainsi : « ...Les partis de gauche qui forment la majorité , s'ils estiment pouvoir se passer de lui (De Gaulle), ont tout loisir pour former le gouvernement de leur choix et pour faire exécuter leurs décisions par le gouvernement de leur choix. Quel obstacle les arrête ? » L'hypocrisie et l'ironie de cet organe des trusts ne sont pas sans intention. Car l'obstacle en question n'est pas seulement le résultat des élections qui ont plébiscité De Gaulle et ont donné sur le PLAN PARLEMENTAIRE un poids aussi grand au parti de la réaction qu'à chacun des partis de gauche ; c'est aussi, comme l'a montré l'expérience Blum en 36, la faillite inévitable qui guette les Partis appuyés sur des voix ouvrières dans la conduite des affaires gouvernementales bourgeoises (cela même si à la place de la formule gouvernementale de 1936 : « Blum appuyé »sans éclipse« par Thorez » , on a un gouvernement Thorez-Blum).

C'est pour cela que, malgré leurs vantardises, les chefs du P.C.F. ne pourront qu'entrer dans le gouvernement De Gaulle et plier l'échine. Fermant les yeux sur les réalités, Duclos déclare : « Une campagne de presse tente déjà de discréditer l'Assemblée. J'ESPERE que nous FERONS mentir ceux qui nous accusent d'incapacité et QU'IL Y AURA une majorité pour donner la vie au programme du C.N.R. » Vains espoirs !

Car si les chefs du P.C.F. voulaient réellement être fidèles au programme qu'ils prétendent défendre, il ne leur resterait qu'à rompre avec De Gaulle, pour s'appuyer sur l'action des masses travailleuses. C'est la seule chose que la bourgeoisie puisse craindre. Le Monde, qui offre si généreusement les fauteuils ministériels aux partis de gauche, révèle justement cette crainte de la bourgeoisie : « Un parti de gouvernement, écrit-il, ne peut davantage, s'il veut obéir aux disciplines les plus élémentaires de la démocratie, songer à faire pression sur la souveraineté populaire (lisez le »Parlement« ) et sur le gouvernement par des ACTIONS DE MASSE » (24-10).

Ne prenez donc pas prétexte du référendum, messieurs les défenseurs du peuple, pour vous laver les mains ; ne prenez pas prétexte de la « démocratie » pour vous empresser de vous incliner devant De Gaulle, devant les trusts, devant la bourgeoisie. Les ouvriers n'ont-ils donc plus qu'à mourir parce que la bourgeoisie a réussi à vous faire tomber dans le piège du référendum ? Un parti réellement dévoué aux masses travailleuses doit pouvoir sortir du traquenard de De Gaulle !

« Général De Gaulle », devraient dire ceux qui prétendent être du côté du peuple, « puisqu'avec votre plébiscite vous prétendez nous lier les mains, nous ne pouvons pas collaborer avec vous. Car, si au point de vue gouvernemental, le référendum nous ligote, nous pouvons rester libres en nous refusant au piège de votre collaboration ; nous ne voulons pas endosser, devant ceux qui nous ont fait confiance, la responsabilité de vos actes. Nous allons donc nous appuyer ouvertement sur les masses travailleuses pour les guider dans leur lutte contre vous et vos maîtres, les trusts et les banques. »

Si, par le suffrage plébiscitaire, la bourgeoisie a pu berner le peuple;, manoeuvrer les partis se réclamant de la classe ouvrière, et renforcer l'Etat bourgeois, un Parti véritablement ouvrier peut recourir au vote des masses travailleuses réunies dans leurs Comités de quartier et d'usine, d'où les réactionnaires, les fascistes et toutes les catégories anti-populaires seraient exclus, et où tous les travailleurs de la ville et des champs décideraient de l'action ouvrière à opposer aux capitalistes et à la réaction. C'est devant un pareil "Parlement ouvrier et paysan; que les Partis se réclamant de la classe ouvrière doivent rendre des comptes !

La riposte des travailleurs aux manoeuvres de la bourgeoisie aboutira inévitablement à la lutte ouvrière comme celle de février 1934 à juin 1936, car seule la grève générale peut leur faire échec. Mais si lors de ce conflit, auquel la bourgeoisie se prépare, les Partis qui se réclament de la classe ouvrière se trouvent dans le gouvernement bourgeois, affameur et répressif, ils ne feraient que faciliter la montée du fascisme et la catastrophe pour la classe ouvrière.

C'est pour cela que les ouvriers doivent résolument être contre le ministérialisme bourgeois des chefs ouvriers, pour l'organisation et l'action indépendante des masses travailleuses, pour la préparation de la lutte ouvrière à travers nos Comités d'action !